Quelle stratégie de communication adopter pour un sujet comme le mariage gay, porteur d’oppositions aussi fortes ? Le gouvernement Ayrault a choisi de s’inscrire dans une tradition socialiste s’appuyant sur les valeurs d’égalité et de liberté. Ainsi a été lancé le projet d’ouverture du mariage aux couples gay, rebaptisé opportunément: « mariage pour tous ».
Une communication gouvernementale tout en subtilité et en sous-entendus pour un sujet potentiellement explosif
Toute la communication du
gouvernement s’articule donc autour de cette notion phare d’égalité. Ainsi
David Assouline, porte-parole du Parti Socialiste, déclare à propos de la
manifestation contre le mariage pour tous : «une manifestation pour empêcher certains d'avoir les mêmes droits,
c'est très rare, seule la droite sait faire ça !» tandis que Christina
Taubira met en avant l’égalité des droits pour tous les citoyens quelle que soit
leur origine sociale, ethnique… et quelle que soit leur orientation sexuelle !
En parlant de « citoyens », elle veut faire passer l’orientation
sexuelle au second plan du débat. D’ailleurs le projet de loi, c’est celui du
« mariage pour tous » et non celui du « mariage gay ».
Mariage pour tous cela pourrait tous aussi bien vouloir dire mariage pour les
jeunes, les vieux, les étrangers, les chômeurs. C’est une manière implicite de
faire comprendre que de ne pas accorder le mariage aux homosexuels est aussi
absurde que de ne pas l’accorder aux chômeurs par exemple ! Bon moyen de
dénoncer en creux les discriminations liées à l’orientation sexuelle. Belle
ambigüité aussi car si on pousse la logique au maximum, « mariage pour
tous » cela peut aussi vouloir dire mariage avec son frère ou sa sœur, ce
qui renvoit à un des plus grands tabous
de notre civilisation : l’inceste !
Derrière la formule
« mariage pour tous » se cache donc une habilité communicationnelle
mettant en avant des aspérités positives (la notion consensuelle d’égalité) et
gommant les aspects qui pourraient faire polémique. La formule est facilement
mémorisable, simple et compréhensible : tous les ingrédients d’un bon
slogan. Mais cela suffit-il à faire adhérer tous les citoyens à ce projet de
loi ?
Provoc + humour = médiatisation forte
Face à cela les opposants au
mariage gay auraient pu mettre en avant une porte parole conservatrice, droite
dans ses bottes, à la vertu jamais remise en cause. Eh bien non ! En
communication il faut frapper là où personne ne vous attend ! C’est donc l’humoriste
Frigide Barjot, à l’image fofolle de femme libérée - en réalité femme de droite
engagée dès les années 80 au RPR et catholique convaincue - qui deviendra
l’égérie du mouvement de contestation. Pourquoi est-ce un très bon choix
communicationnel ? D’abord parce que les paradoxes et le côté gentiment
provocateur d’une femme comme Frigide Barjot (son nom annonce la couleur),
c’est une exposition médiatique assurée. Et en effet, la porte parole est
invitée sur tous les plateaux de télévision et de radio. Le « buzz »
est lancé et le mouvement peut alors monter en puissance. Ensuite parce que pour
fédérer des militants très diversifiés il faut une égérie non conventionnelle.
Frigide Barjot touche à la fois les jeunes, grâce à son côté fêtard, les
cinquantenaires, les catholiques, les non-croyants. De plus, elle décomplexe
les personnes modérées qui sont contre le mariage pour tous mais qui n’osent
manifester de peur d’être perçus comme réactionnaires.
Grâce à son humour et à son franc
parler, elle réussit à s’attirer la sympathie. Son look (on a pu souvent la
voir avec une veste de jogging rose bonbon) lui donne une allure « cool »
et surtout inoffensive. Très loin de l’image des militants radicaux de Civitas,
Frigide Barjot apparait comme une femme moderne et ouverte d’esprit qui défend
le droit des enfants. Son émotivité permet au public de s’identifier à elle,
elle confie dans toutes les interviews : « J’ai énormément souffert du divorce de mes parents. Je crois que c’est
l’un des ressorts de mon combat pour la famille ». Mais Frigide, pas
si barjot que ça, a surtout compris que pour étendre le mouvement des
« anti », il fallait dépolitiser et décléricaliser la revendication. Elle
a de l’expérience puisqu’elle a travaillé plusieurs années dans l’agence de
communication politique « Principes » qui géré la campagne de Jacques
Chirac en 1995.
Une recette vieille comme le monde
Prendre pour figure de proue une
femme afin d’adoucir des idées qui pourraient paraitre trop d’extrême droite.
Une certaine Marine Le Pen a appliqué la même recette … Mais il ne faut pas
s’arrêter à l’allure légère de Frigide Barjot chantant « Fais-moi l’amour avec les deux doigts ». En réalité, pas si ouverte que cela sur les
sujets de société, elle milite contre l’avortement, contre l’euthanasie, contre
le mariage gay et contre l’assistance médicale à la procréation (PMA) y compris
pour les couples hétérosexuels. La communication ne peut travestir la réalité
bien longtemps...
par A.A., étudiante en communication.
Excellente analyse! Très juste! L'aspect communicatif a aussi été particulièrement réussi avec des manifestations exemplaires ( du jamais vu dans l'histoire de la Vème).
RépondreSupprimerForce est de constater qu'au delà des slogans l'idée de la complémentarité et de la parité dans le mariage est bien plus facile à défendre qu'un "désir d'enfant" qui aussi fort et noble soit il demeure insuffisant face à l'intérêt supérieur de l'enfant et son droit à avoir deux parents ( dans l'institution).
Pyro
Ce qui me gène avec cette communication, c'est qu'elle permet de rendre inaudible le fond du débat. C'est à dire la lutte entre un modèle familial traditionnel et une innovation législative, dans le sens de quelque chose de nouveau, qui s'adapte à la société existante.
RépondreSupprimerSi l'on s'essaye à un peu de rigueur philosophique, la première position est dogmatique, puisque traditionnelle. Un enfant est issu d'un homme et d'une femme, la loi doit donc les lier ensemble. Ca s'appelle le mariage, en droit public comme en droit canon (et c'est peut-être une partie du problème). Les défenseurs de cette position doivent donc en toute logique militer activement contre le divorce, qui fait lui aussi primer la liberté du parent sur cette définition de l'intérêt de l'enfant.
La seconde adapte la loi à une réalité existante. Les structures familiales se modifient et il revient à la loi d'arbitrer les conflits qui en résultent.
Si le débat pouvait être posé de cette façon, loin des gesticulations médiatiques, une issue serait sans doute plus simple à trouver.
Emmanuel Tank
tout le problème est là! le gouvernement comme les opposants au mariage pour tous ont mis en place des stratégies de communication pour éviter le débat!
RépondreSupprimerAndréa