Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.
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mercredi 27 février 2013

Viva l'Opéra! Ou pas...


Voilà trois ans que les cinémas UGC ont lancé "Viva l'Opéra". Le but? Démocratiser l'opéra, le rendre accessible à tous en le faisant entrer dans les salles de cinéma à un prix défiant toute concurrence. Un véritable succès en terme de fréquentation? Assurément! Une belle opportunité pour ceux qui n'ont pas les moyens d'aller à l'opéra? Sûrement! Une petite hypocrisie? Peut-être!




L'opéra pas cher?


Falstaff, Le Chevalier à la rose, Hänsel et Gretel...En 2013 encore, la programmation de Viva l'Opéra fait rêver. Grâce à UGC, vous pourrez assister à ces spectacles pour des prix compris entre 10 euros (si vous avez moins de 26 ans) et 28 euros (tarif UGC normal pour un opéra). C'est nettement moins que ce que vous devriez débourser en allant à l'Opéra Bastille, pour voir Falstaff par exemple, spectacle pour lequel les prix grimpent jusqu'à 180 euros.

C'est derrière cette économie importante (il faut bien le reconnaître) que se cache la petite hypocrisie du dispositif. Démocratiser l'Opéra? Le faire passer de la culture d'élite à la culture populaire? Le rendre accessible au Français lambda? Très bien! Parfait! Magnifique! Mais alors... Pourquoi la place n'est-elle pas à 10 euros (et quelques) en tarif plein, ou moitié moins cher pour les tarifs réduits, comme pour les autres séances? Les spectateurs sont assis dans une salle de cinéma, sur des fauteuils de cinéma, dans un cinéma, et regardent ce qui est projeté sur l'écran blanc du cinéma. Pourquoi la place est-elle alors à 28 euros? Sous couvert de démocratisation, on entretient le côté élitiste de cet art : dans un cinéma l'opéra est ainsi  trois fois plus cher que n'importe quel film, y compris les films en 3D. Il est d'autre part réservé à quelques chanceux puisque pour un même opéra, les séances sont au nombre de une par cinéma concerné. Nous sommes également encouragés à réserver nos places sur internet, sur un site dédié dont l'esthétisme raffiné rappelle furieusement les sites des vrais opéras. Non décidément, on ne va pas voir un opéra à l'UGC comme on irait voir un film normal.

Ne soyons pour autant pas obtus. Il existe des arguments qui plaident en faveur de ce tarif de 28 euros. Pensons notamment au direct qui est un bon argument de vente. C'est la promesse d'assister à l'opéra comme si on y était puisque le spectacle se déroule en même temps devant les gradins du théâtre et devant les sièges du cinéma. Organiser un direct mobilise manifestement beaucoup de moyens et justifie sans doute le prix affiché. Et nous pourrions fort bien souscrire à cet argument si le direct était généralisé. Or pour la première moitié de 2013 (jusqu'en juillet), sur les dix opéras programmés, "seulement" quatre sont retransmis en direct. Pour le reste il s'agit de retransmissions.

L'Opéra de Paris réalise des captations de ses opéras, et depuis peu (avril 2012) la filiale "Opéra de Paris production" en détient les droits. Conformément à sa stratégie commerciale, elle diffuse ensuite les DVDs de ses productions, notamment dans les cinémas, mais propose aussi des VOD afin d'accroitre la visibilité de l'Opéra de Paris en France et dans le monde. Concrètement, une séance Viva l'Opéra à l'UGC s'apparente donc, quand elle n'est pas en direct, à la diffusion d'un DVD sur grand écran.


D'autres solutions existent


A titre de comparaison, voici une autre démarche : celle d'Arte. Régulièrement, la chaine diffuse des opéras et des concerts de musique classique en soirée, gratuitement donc (la redevance télévisuelle mise à part). D'autre part, Arte dispose aussi d'un site de vidéos à la demande où elle propose certains opéras et concerts à la location (de 48 heures) ou à l'achat (respectivement à 2.99 et 6.99 euros). On est loin en-dessous des 28 euros d'UGC.

Il faudrait également noter l'effort tarifaire que réalise l'Opéra de Paris. Les prix sont en effet en baisse globale dans les salles de spectacle et une bonne partie des places sont proposées à moins de 45 euros. D'autre part, des tarifs inférieurs à 28 euros pour les jeunes ou pour les places de dernières minutes ont aussi été instaurés. Le prix peut descendre jusqu'à 5 euros pour une place debout.


Quelle logique?


En fin de compte l'association entre l'Opéra de Paris et les cinémas, particulièrement UGC, s'avère être un partenariat très profitable. La volonté de démocratiser cet art lyrique est bien réelle mais paradoxalement, les deux parties surfent sur le caractère élitiste de cet art lyrique: l'Opéra de Paris cherche à améliorer sa visibilité et à réaffirmer son prestige, et du côté d'UGC on affirme clairement que les séances Viva l'Opéra doivent rester un spectacle exceptionnel, de haut standing.

Il y a donc bien deux orientations contradictoires à l'œuvre. D'un côté la volonté d'étendre le public de l'opéra à des couches plus modestes de la société mais également aux endroits de France dépourvus de théâtre. De l'autre la volonté de réaffirmer l'exception, le raffinement et l'élitisme de l'art lyrique : diffuser un DVD de Carmen ne doit pas coûter beaucoup plus cher que de diffuser Die Hard 5, mais comme il s'agit d'opéra... la place est à 28 euros. D'un côté l'opéra se démocratise, et de l'autre le cinéma devient élitiste.

Pour illustrer cette évolution nous pouvons nous référer à l'actualité cinématographique la plus déroutante de ces dernières semaines. Elle nous vient de Gaumont-Pathé. La société a déjà doté certaines de ses salles de quelques nouveaux sièges gris tout confort ou de sièges spéciaux pour deux personnes. Ces places seront à vous si vous acceptez de payer un supplément qui peut faire grimper le ticket jusqu'à presque 17 euros. Voilà bien une initiative étonnante dans une période où beaucoup considèrent que ce qui tue le cinéma ce n'est pas le téléchargement mais bel et bien la place à 10 euros. Mais cette initiative témoigne surtout d'une orientation inquiétante : De plus en plus on semble payer pour la place qu'on occupe plutôt que pour ce que l'on vient voir.




jeudi 20 décembre 2012

La part de l’Autre ou Adolf H. d’Eric-Emmanuel Schmitt


Si Hitler avait réussi les Beaux-Arts,  le monde n’aurait certainement pas le même visage et nous non plus. Suivant cette hypothèse, l'auteur nous peint deux Adolfs asymétriques et nous plonge dans l'Histoire tel que nous ne l'avons jamais vu.

 


Que pouvons-nous apprendre d’un nouveau livre sur Hitler ? Il y en a tellement, des analyses, des histoires, des archives, des déductions dont beaucoup relèvent du pur fantasme : certains voient Hitler comme un dangereux homosexuel frustré, d’autres comme un hétérosexuel sadomasochiste. Centré sur une étude ontologique du dictateur, l'ensemble de ces écrits vivifient son image contemporaine, celle d'un personnage mythologique, presque théologique, ancré par voie de conséquence, en dehors de toute humanité. Et pourtant, Hitler était un homme, il a fait des choix et comme chaque homme, il avait devant lui, ouvert, tout le champ des possibles.  

 

Un miroir déformant    

 

Faire d’Hitler une personne, en somme le comprendre sans jamais le justifier, tel est le défi relevé par Eric-Emmanuel Schmitt. Dans cet ouvrage, deux récits se répondent sans jamais se croiser, celle d’Hitler et celle de son double Adolf H, le clochard autrichien devenu tribun politique allemand et le peintre surréaliste, jouisseur altruiste. Au fil des pages, nous partageons les pensées et les rencontres de ces deux personnages, deux mêmes faces d’un miroir déformant,  auxquelles, étrangement et singulièrement, nous parvenons à nous identifier. Finalement, Hitler aurait pu être un autre.

 

Hitler versus Dorian Grey

 

Mais sans Hitler, sans l’antisémitisme allemand, sans les camps de concentration, quelle Histoire pourrions-nous apprendre? Quel monde imaginer ? Aurions-nous vu une seconde Guerre mondiale ? Un État d’Israël ? Une bombe atomique ? Prudent, l'auteur nous offre une autre Histoire, toujours en miroir de la réalité. On aurait pu lui reprocher de n'avoir pas donner plus de détails sur ce monde fantasmatique. Mais ce serait trop vite oublier que ce roman est avant tout l'expression de nos  fantasmes et de notre propre peur. 
Au-delà du personnage d’Hitler, c’est en effet le lecteur qu’Eric-Emmanuel Schmitt dépeint. Semblables à Dorian Grey, nous n’acceptons pas de contempler notre image telle qu'elle est, de percevoir notre humanité autrement que sous une belle apparence. Alors, quand, enfin, nous nous voyons, à nu, nous cessons d’exister. Heureusement pour nous, il ne s’agit que d’un livre… 

Édition le Livre de Poche - 503 pages - août 2012 - 1ère publication: septembre 2003

mardi 20 novembre 2012

"La jouissance" de Florian Zeller, un roman européen

Qu’il y a-t-il de commun entre la crise européenne et le couple contemporain? En une centaines de pages, Florian Zeller nous ouvre les portes d’une société de la jouissance à l’allure bien tyrannique. 


Passé maître de l’expression scénique, après six années sur les planches, Florian Zeller revient avec un nouveau roman à l’accent très théâtral. Construit en trois  actes à valeur chronologique, « l’ode à la joie », « le sacrifice » et « la tyrannie »,  l’ouvrage fait vivre trois personnages aux caractères bien distincts: Nicolas, trentenaire aux ambitions artistiques déçues,  Pauline, une « sentimentale » qui travaille dans une entreprise de cosmétique, et un chœur à l’accent tragique qui, mêlant anecdotes et faits d’Histoire, raconte la construction d’une Europe qui nous ressemble. 

Tragédie sans en avoir l’air, ce roman est avant tout celui de la désillusion, vis-à-vis de l’amour d’abord puis de l’idée européenne. A l’Europe flamboyante des années 70 et 80, au temps où Helmut Kohl et François Mitterrand se prennent «  main dans la main », aux premiers pas d’une histoire amoureuse succède le moment du sacrifice, une action  nécessaire mais improbable dans une société mue par la jouissance. Au couple de Pauline et de Nicolas, en profonde déliquescence, répondra la perte de sens de l’idée européenne dans un monde incapable de considérer l’Autre.  

Alors, quand « marcher ensemble » devient impossible, au moment où d’aucun n’est disposé à faire de concessions pour l’autre,  la crise apparaît. Une  crise sentimentale, idéologique et politique. C’est la tyrannie, celle de la jouissance, qui fait loi. Au bout de ce chemin, il y a surtout une création, un enfant, venu bien trop tard ou au contraire bien trop tôt, chez des êtres devenus profondément incapables de penser à autre chose qu’à leurs propres désirs. Bien loin d’être salvateur, l’enfant provoque la crise et fait mourir le couple. 

De la petite histoire d’une  séparation au caractère bien banal, Florian Zeller en fait une chronique contemporaine et l’accroche à la Grande Histoire d’une Europe qui déçoit. Parce qu’on ne peut plus penser l’autre sans passer par le filtre de soi-même et parce qu’on ne peut davantage penser l’Europe sans la montée du nationalisme, il est tout autant devenu  impossible de faire un enfant en l’aimant pour lui-même. 

Derrière la tragédie moderne,  l’ouvrage s’adresse à une nouvelle génération en quête de sens. Tout en interrogeant notre manière de vivre,  il ravive, et pour longtemps,  les consciences du monde de demain.

Editions Gallimard – Sortie en juin 2012 – 160 pages

jeudi 15 novembre 2012

Concerto à la mémoire d’un ange d'Eric-Emmanuel Schmitt


Prix Goncourt de la nouvelle 2012, le "Concerto à la mémoire d'un ange" d’Eric-Emmanuel Schmitt interroge: Avons-nous le pouvoir de changer notre vie? 



Dans ce livre de nouvelles du prolifique auteur Eric-Emmanuel Schmitt se joue une curieuse mélodie en quatre actes, alternance d'admiration et de haine, d'amour et de poisons, de meurtres et de désirs. Aucune fausse note n'interrompt ce concerto qui s’amuse à déjouer toutes les partitions possibles pour improviser autour d’une même gamme : Sainte Rita. Qui peut-elle bien être ? « Une femme » nous dit Catherine, première dame de France que la passion pour son mari déchire. A travers Rita, conciliatrice des mœurs, musicienne de l’impossible, c'est l’humanité qui soudain apparaît capable d’inverser son destin. En somme, « sommes-nous libre de changer? ». Si le docteur en philosophie répond par l'affirmative, l’auteur, lui, cherche les nuances et trouve, dans ce livre, la tonalité juste. 

samedi 10 novembre 2012

Des fleurs pour Algernon


Que feriez-vous si l'on vous donnait la possibilité de devenir intelligent? Plus que cela, de devenir très intelligent, plus intelligent que tout le monde, un vrai génie? Et que feriez-vous si ce don vous était enlevé?





Le Studio des Champs Elysées joue actuellement la pièce Des fleurs pour Algernon, tiré du roman du même nom écrit par Daniel Keyes. Disons le tout de suite, cette pièce est une franche réussite.

Algernon est une petite souris de laboratoire. Deux scientifiques reconnus ont voulu tester sur elle une opération visant à accroître son intelligence. Les résultats sont époustouflants et incitent les scientifiques à passer aux tests humain. Charlie Gordon est le sujet choisi pour l'expérience, son QI ne dépasse pas 68 et il se fait régulièrement battre par la petite souris, devenue intelligente, lors du test du labyrinthe. Mais il a une grande envie d'apprendre, une envie stimulée par Miss Kinian, sa charmante professeur qui lui enseigne la lecture et l'écriture. L'opération est un succès! Progressivement Charlie devient intelligent, plus intelligent que tout le monde. Il découvre le monde en même temps que le savoir, la connaissance, et même l'amour auprès de Miss Kinian, devenue Alice. Mais un jour, la petite souris décline, régresse et finit par mourir. Dans quelle mesure les destins de Charlie et d'Algernon sont ils liés? Que peut-on faire quand l'on sait que l'on va redevenir bête, et que rien ne l'empêchera?

Voici pour l'intrigue, cette dernière étant magnifiquement servie par une mise en scène bien pensée. Gregory Gadebois, l'acteur pensionnaire de la Comédie Française, est seul en scène et réussit la remarquable performance de faire vivre à lui tout seul l'histoire et les différents personnages à travers l'oeil d'un Charlie plus que convaincant, bouleversant. La scène est étroite, carrée, entourée de projecteurs aux fils apparents, c'est la cage scientifique à travers laquelle Charlie est observé. Cette scène, c'est également la tête de Charlie Gordon, brouillonne, désordonnée, une véritable cage en elle-même, mais aussi un poste d'observation à partir duquel il regarde les autres. Cette mise en scène particulière réussit le tour de force de nous faire rentrer dans le cerveau de ce personnage, là où tout se passe. Assis sur sa chaise, Charlie Gordon nous raconte alors à sa manière ce qu'il lui arrive, seul. Car la solitude de l'acteur sur scène est un reflet de la condition de son personnage, éternellement "inadapté", ce sont ces termes. Bête, il est mis à l'écart. Intelligent, il les surpasse tous. Les autres, il ne peut les croiser que deux fois, brièvement, une fois en montant, une autre fois en redescendant.

Cette histoire particulière donne lieu à des moments touchants mais aussi à des instants de rire, dus à la fois à la gentille naïveté de l'homme simple et à la condescendance du génie, le tout très justement interprété par Gregory Gadebois. On retrouve à certains moments ce procédé critique et humoristique qu'avait déjà utilisé Montesquieu en son temps dans Les lettres persanes. Charlie Gordon devenu intelligent s'apparente ainsi à un étranger découvrant un nouveau monde et ses moeurs étranges. Le long et savoureux passage du décryptage de la bise en est un parfait exemple.

"Des fleurs pour Algernon" explore donc le double cheminement d'un homme simple devenant un génie, et celui d'un génie régressant jusqu'à devenir simple. Mais plus que dans ce processus, c'est dans les relations avec les autres personnages, ceux qui ne sont pas là, que cette pièce réussit à nous émouvoir le plus. Grégory Gadebois, formidable dans ce rôle, réussit d'ailleurs à nous faire oublier qu'il est seul en scène, et lorsqu'on se mêle à la foule qui sort du théâtre et qu'on écoute les conversations, on ne peut que constater que cette prestation a fait l'unanimité.

"Des fleurs pour Algernon" est une pièce adaptée du roman du même nom par Gérald Sibleyras, mise en scène par Anne Kessler et jouée par Grégory Gadebois. Elle se joue au Studio des Champs Elysées à Paris jusqu'au 31 décembre 2012, à voir absolument!