Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

mardi 30 novembre 2010

De l'îlot politique à Paroles en l'ère: la fin d'un blog

L'ensemble de ces articles proviennent d'un blog, aujourd'hui fermé, appelé "ilot politique", qui avait vu le jour pendant l'année 2010. Paroles en l'ère assure la survivance des articles écrits par l'un des ses membres, articles qui, après deux années, n'ont pas tout perdu de leur actualité.  

 

 "Nous ne nous engageons jamais que dans des combats discutables, sur des causes imparfaites. Refuser pour autant l'engagement, c'est refuser la condition humaine"

 

Nous, en tant que Français et Européens, peut-on comprendre ces quelques mots d'Emmanuel Mounier? Peut-on vraiment apprécier à sa juste valeur la proclamation d'un Absolu, d'un caractère nécessaire à l'humanité sans le prendre pour une antiquité, une folie ou pire du vent? En fait, y trouve t-on encore du sens? L'îlot politique enquête.  



Si l'engagement a d'abord une valeur politique (par politique, je n'entends pas la politique, comprise comme l'art du discours mais le politique, c'est-à-dire ce qui nous fait vivre ensemble, ce qui nous maintient dans une société donnée, ce qui nous rassemble et nous régit), s'engager c'est aussi une action, une dynamique imposée à soi même, portée vers l'autre, ayant une direction, un sens. Si le pessimisme ambiant est prêt à nous trouver maints raisons de ne plus espérer, de rester chez soi, de ne plus s'engager, si nous sommes sans repères dans une société où l'économie dirige le politique, il n'y a rien qui nous empêche de renverser la tendance. Rien sauf l'irresponsabilité, l'indifférence ou le cynisme.

Rassurez vous, ce blog n'a pas pour but d'imposer une leçon de civisme ou de patriotisme, il ne prétend pas non plus vouloir rassembler les masses, mais il n'a qu'une seule vocation, celui de comprendre quel peut être aujourd'hui le sens du politique, le sens d'une France,d'une Europe, d'un rêve, porté par les Anciens qu'il se nomme De Gaulle ou Jean Monet.C'est pour cela qu'il peut être considéré comme un îlot, un espace isolé du monde mais irrévocablement dedans. Pour retrouver un sens au politique, il suffit avant tout d'y croire.

Alors créer un blog, l'appeler "îlot politique", et le publier, est ce suffisant? Non, bien sûr, rien de ce qui peut être publié individuellement sur internet ne peut suffire à s'engager dans le politique, à trouver un sens. Mais c'est un début, une esquisse, une première réflexion à partager ensemble simplement. En tant que responsable du site, je vous souhaite donc la bienvenue.

lundi 29 novembre 2010

Europe, quand tu nous tiens

« Il nous faut plus d'Europe », Telle est la leçon que les politiques tirent de la crise. Dans la noirceur ambiante de nos quotidiens, le rêve européen paraît renaître. Illusion ou réalité? Comment rêvons nous l'Europe politique...

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Il est cinq heures. Le soleil est au beau fixe en France et plus aucun nuage ne cache l'enthousiasme des bureaucrates de notre chère Europe. C'est que les choses bougent dans le vieux continent. Un vent de dynamisme semble, en effet, s'être emparés des politiques:Les rencontres aux plus hauts sommets se succèdent et la mesure phare: le déblocage de milliards d'euros en faveur de la Grèce et des pays en difficulté de la zone euro, est finalement lancée .... L' Europe ferait-elle enfin preuve de solidarité, et osons le mot de politique? Dans les faits, deux figures la dominent : Angela Merkel, la chancelière allemande et Wolfgang Schäuble, son ministre des finances. A eux seuls, ils prennent en main l'ensemble de la politique financière de l'Union. Parmi leurs propositions se trouvent entre autres, la suppression des CDS (Credit Default Swapp), l'interdiction des ventes d'emprunts d'états à découvert, ou encore la prise en charge des budgets souverains par l'Union. Ainsi le train des réformes est en marche et C'est l'Allemagne qui en a les commandes. A côté, ses voisins font pâles figures et pourraient même être accusés de plagiat. Nicolas Sarkozy, en est, parmi d'autres,un bel exemple.  En voulant inscrire le taux de déficit public dans la Constitution, il ne fait en effet que suivre les directives de sa partenaire allemande, précurseur de la mesure.

Imprégnés de ce nouveau dynamisme réformateur, certains iraient même jusqu'à rêver d'une Europe puissante, gouvernant les marchés. L' Europe, après soixante ans d'existence, serait-elle enfin arriver au consensus communautaire, à cette « fusion des intérêts » si chère à Jean Monnet? Rien n'est moins sûr.

L'Allemagne, moteur de l'Union?


Si l'Allemagne paraît être le moteur de l'Union, elle est bien seule. Le représentant de la deuxième puissance européenne, Nicolas Sarkozy rencontre de réelles difficultés pour faire accepter sa nouvelle mesure et force est de constater qu'un voile oppressant immobilise actuellement le débat politique français. Quant à la Grande Bretagne, son visage est plus eurosceptique que jamais avec David Cammeron, fraîchement élu à la tête du gouvernement anglais. Dans ces conditions peut-on reprocher à l'Allemagne d'agir seule? Évidemment non. Mais il est toujours possible de critiquer sa méthode. Revenons sur la suppression de ces fameux CDS. Instruments de tarification financière, ces crédits sont aussi des outils majeurs de la spéculation. Dans la matinale de France Inter du 21 mai, Susan Georges, auteur de Leurs Crises, nos solutions, fait une brillante analogie des CDS avec les fraudes à l'assurance. « C'est comme, assure t-elle, la permission de vendre quelque chose qu'on ne possède pas; je prends une assurance sur votre maison, j'y mets le feu, votre maison n'existe plus et je collecte l'assurance... Il fallait les interdire... » . Mais si Angela Merkel semble avoir raison sur le fond, la forme n'y est pas. Ce n'est en effet ni dans les bourses de Paris ou de Francfort que ces crédits pullulent mais dans celles de New York ou de Londres. Conscrite au cadre européen, la mesure risque donc d'être obsolète. Alors certes les politiques se démènent, mais on peut se demander si ils le font dans le bon sens!Il n'y a pas si longtemps un brillant observateur faisait remarquer que, pour la première fois, dans une réforme étatique, en l'occurrence la réforme des retraites, le gouvernement français prenait en compte les humeurs du marché et affichait la volonté de s'y soustraire. Nos dirigeants gouverneraient-ils pour les marchés? Décidément quelque chose ne tourne pas rond en Europe. Je dirais même plus: on marche sur la tête. Un acteur fondamental, en effet, reste muet dans l'échiquier européen. Curieusement il est celui qui pâtit le plus de la crise. Bouche cousue, poing lié, le peuple européen reste dans l'ombre. Pourquoi?

Vers une europe démocratique?


Si l'Europe semble prête à une transformation imminente, elle ne va pas forcément dans le sens de la démocratie . Jamais aujourd'hui l'économie n'a autant dirigé le politique. Aucun principe électoral n'est à attendre des marchés financiers. Ce n'est pas leur but. Mais si les politiques peuvent agir seuls, sans accord ni du peuple ni des principes démocratiques, c'est qu'ils croient celui ci impuissant et inutile. En tant que français, ancien peuple émancipateur, le constat est rude. Alors que résonne encore à nos oreilles la ferveur des journées de 1789, de 1848 ou de 1936, nous sommes perdus dans un quotidien en crise, dans une mondialisation où il nous faut chaque jour lutter pour ne pas perdre un peu plus de ce que nous sommes. Même le mot « révolution » fait rire. Les communistes l'ont trop entaché pour y croire encore. Quant aux termes de « manifestation » ou de «grève générale », ils semblent bon à passer aux oubliettes. Et pourtant si l'on réfléchi bien les ressources ne manquent pas. D'après un récent rapport européen, le continent est plus numérisé que jamais. Par Facebook ou Twister, nous communiquons de l'Adriatique à l'Oural. Imaginez une immense manifestation, à l'image de ces apéros géants, où les gens ne seraient non pas liés par l'envie de boire ou de s'amuser mais par un même projet politique, une même envie de changer d'Europe. De réseau à réseau, le mot passerait et ce ne serait non plus la bureaucratie qui s'installerait dans l'Union mais au contraire une véritable démocratie, soutenu par un mouvement populaire européen. Si un démos doit se créer, il doit le faire rapidement, efficacement afin que le rêve de Jean Monnet ou de De Gaulle sorte de la crise, non pas défiguré mais au contraire vivifié. Alors certes nous pouvons nous morfondre dans nos fauteuils comme nous l'avons fait jusqu'ici. Nous pouvons cyniquement rabattre nos fenêtres. Nous pouvons continuer à râler dans le vide. Mais ne manquerions nous pas quelque chose? Une part de soi? Notre raison d'être?L'espoir...

« Nous ne nous engageons jamais que dans des combats discutables, sur des causes imparfaites. Refuser pour autant l'engagement c'est refuser la condition humaine » Emmanuel Mounier.

Tuniques bleues en colère

 Infiltré dans la peau d'une tunique bleue, ou Agent des Services Hospitaliers,  l'îlot politique enquête sur ce monde en crise.

 

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Au service de l'hôpital

Hôpital André Grégoire, Seine Saint Denis, 6 heures et demi du matin. Je me dépêche de monter les étages, ma tunique bleue à la main. Arrivée dans le service, je me faufile aux vestiaires, et en ressort dix minutes après, parée pour 8 heures de travail. Chargé dés le matin de distribuer le petit déjeuner des patients, de faire le ménage de leurs chambres et les 'courses' ou la quête des divers produits médicaux demandés par les médecins, l'ASH ou Agent des services hospitaliers fait partie intégrante de la chaîne qui régit l'hôpital public. Il est cependant loin d'être perçu comme tel. Les données du ministère de la santé ne le mentionnent même pas. Une carence à l'origine d'un indicible sentiment de frustration de la part de ce personnel, qui sût corps et âme pour le service public. Dans les faits, elle se traduit par l'indifférence ou le mépris de certains membres du corps médical.Dans les couloirs, un mèdecin peut très bien ne pas vous dire bonjour, cela ne le gêne pas. Vous, c'est une autre histoire.

Ce n'est en effet que le reflet d'un monde cloisonné autour d'une hiérarchie très codifiée: Les médecins sont en blouses blanches, les cadres en tenues jaunes pâles, les infirmières en jaune, les aides soignants en vert et enfin les ASH, peu qualifiés, sont en bleu. Chaque couleur correspond à un monde et...il faut bien le dire à une couche sociale. Mais certaines tendent à se confondre. Mlle K., ma collègue, aide soignante, ancienne ASH, m'a dit un jour de dépit: « Bleus et verts, c'est pareil. La direction ne nous écoute pas ». Si ce personnel qualifié de « petit », se sent délaissé, isolé et ignoré, c'est que la direction de l'hôpital ne fait rien non plus pour les y intégrer. La majorité des ASH que j'ai rencontré sont en Contrat à Durée Déterminé, renouvelable tous les trois mois, alors qu'ils occupent cette fonction depuis déjà trois à quatre ans. Une situation à la limite de la légalité encourageant à la fois la précarité et la politique financière d'un hôpital public, en proie à des déficits croissants. Sombrer dans une logique de rentabilité pour cette ancienne « domus hospitalis » ou maison des hôtes, n"est-ce pas un comble?

Hôpital public, hôpital en faillite?


Construit par les neufs communes de la petite couronne de Paris en 1965, l'hôpital André Grégoire de Montreuil a une dimension quasi départemental, comptabilisant 379 lits. Il souffre néanmoins d'un budget déficitaire en perpétuelle augmentation: Comme actuellement la majorité des hôpitaux publics de santé, il se trouve pris dans des difficultés structurelles, avec des ressources qui stagnent ou qui baissent, des dépenses qui ne cessent d'augmenter en raison du vieillissement de la population et de l'envolée des techniques médicales.

Par ailleurs, L'hôpital se définie aussi comme un hôpital de banlieue et comme tel, il reste enclavé en Seine Saint Denis. Aussi l'établissement est très mal relié aux différentes communes de son secteur: Si les bus ne manquent pas, il faut plus d'une correspondance pour rejoindre la banlieue proche. Peu attractif de fait pour le personnel de santé et pour la population des communes voisines, cet établissement souffre de son isolement: Il est malheureusement courant qu'une infirmière soit à plus d'une heure de son lieu de travail. Des conditions qui en font partir plus d'une dans des hôpitaux ou des cliniques proches de leurs domiciles.

Les réponses de la direction pour pallier ces problèmes sont loin d'être jugées satisfaisantes par le personnel. Celle ci cherche, en effet, à restreindre l'embauche et à diminuer les effectifs. Une politique à court terme et impossible à gérer au quotidien comme nous l'explique ma collègue Y., qui dresse un verdict sans appel de la condition hospitalière:« L'état de l'hôpital se dégrade. Il y a 30 ans quand j'ai commencé, nous étions un ASH pour 8 chambres et si la surveillante passait et qu'il y avait de la poussière, elle nous demandait de recommencer. Aujourd'hui nous sommes tous seuls pour 18 chambres. Il est impossible d'avoir la même qualité comme nous le demande la direction. » Une exigence toujours accrue de qualité pour un besoin de rentabilité croissant; les contradictions à l'hôpital ne manquent pas.

Celles ci se concrétisent par ailleurs dans le développement d'un nouveau pôle « Femme/Enfant » sur les façades de l'hôpital, opérationnel en 2011. Si l'hôpital s'agrandit, on pourrait croire qu'il va bien. Cependant cette rhétorique ne semble pas marcher dans le monde hospitalier. Le nouveau pôle n'a été construit que pour améliorer le rendement de l'hôpital en matière de soins, non pour embaucher plus de personnel. C'est d'ailleurs sur avis de conseillers privés que l'hôpital public fonctionne aujourd'hui. Cette situation paraît en accord avec la politique étatique qui consiste actuellement à lier les modes de fonctionnement des établissements privés et publics. Situation qui pose la question du devenir de l'hôpital public et celui de sa confiance. A force de renier sur les dépenses, l'hôpital s'est aliéné à la fois le personnel et les patients. Une crise de confiance qui risque, si personne ne fait rien, de durer. 

Peut-on encore avoir confiance en l'hôpital public? 


La question reste légitime. Considéré en 2000, comme l'un des meilleurs pays en matière de santé publique, la France est aujourd'hui sur le rebours. Beaucoup choisissent les cliniques privés au détriment du public. Un choix qui sanctionne une politique étatique menée par une logique financière implacable. Reste que les premiers concernés sont le personnel hospitalier qui voit ses conditions de travail se dégrader mais aussi les patients, dont la qualité de soins s'amoindrit. Cette logique néanmoins en dissimule une autre, beaucoup plus naturel à l'hôpital: celle de la solidarité et de la démocratie.

On oublie trop souvent qu'il est impossible de sacrifier la santé d'un pays. Je ne crois pas aux sacrifices et encore moins à ceux qui sont faits au nom d'une politique financière. C'est pourquoi je pense qu'il faut garder confiance en l'hôpital public, en cet endroit où toute personne à accès aux soins, quelque soient ses origines et ses revenus. C'est encore plus vrai pour l'hôpital de Montreuil. Si l'on peut y croiser à la fois des peintres bobos et des gitans, des filles d'Europe de l'est et des professeurs, c'est que la santé reste encore un des symboles de notre système démocratique. Préserver cette richesse de l'hôpital public, c'est aussi préserver une certaine idée de la France.

La France à la rue

L'îlot politique, en colère, part manifester dans la rue, ses cheveux teintés de blanc. Mais que va t-il pouvoir faire? L'Europe lui a déjà mis le bonnet d'âne.

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Article publié dans l'Insatiable, journal des étudiants de l'INSA de lyon.


Quoi?! Vous n'y étiez pas! Vous les jeunes, alors que vous êtes les premiers concernés, vous n'avez pas manifestez pour vos futures retraites?! Et on appelle ça des citoyens responsables! Non, mais réagissez, bon sang! C'est deux ans qu'elle a pris la retraite! Toutes les quinzaines de ce mois ci, elle a crié à vos fenêtres et vous n'avez pas entendu. Vous aviez peut être mis des boulkiesses ou pire vous étiez sur Facebook. C'est vrai, votre notion de la réalité en a pu être quelque peu altéré. Ce n'est tout de même pas une excuse. D'autant que vous avez vraiment raté quelque chose. Ce fut grandiose, digne des rassemblements de 1936, de la révolte ouvrière de 1830, et je dirais même plus de la Révolution! Enfin ça, c'est le point de vue de la CGT. La police, quant à elle, se montre beaucoup plus modérée: « De pures bagatelles » affirme t-elle, « quelques centaines de milliers de personnes tout au plus, ça n'a rien d'exceptionnel ». Dans les journaux, le résumé que vous lisez est putôt expéditif: Les rapports de forces en France sont toujours les mêmes, politiques et syndicalistes comptent sur la rue pour faire avancer leur objectif.

Le preux et sa « juste » cause

 


Cependant, une chose, c'est inhabituel, retient votre attention: C'est un titre en gras dans un journal intitulé« Pauvre France, à l'étranger ton image se dégrade ». En le lisant, vous avez des sueurs froides, comme un vague sentiment d'oppression. En fait vous ne vous sentez pas bien du tout et vous vous étonnez: Ce matin l'horoscope était formel, vous auriez dû avoir une santé de fer(Saturne avait en effet déposé les armes devant Jupiter) . A peine ouvert la première page, que l'Europe frappe à la porte, un bâton à la main, la matraque ayant remplacée la carotte. Mais que veut elle? Vous vous approchez, curieux. Il sort de sa bouche comme de longues diatribes plaintives à propos d'une certaine population, d'origine romaine ou quelque chose dans ce genre là, un peu tsigane que vous auriez expulsée sans ménagement, reniant père et mère,hommes et univers. Vous hochez la tête, compréhensif, du genre « Causes toujours, tu m'intéresses. » Cela vous rappelle tout juste un certain 4 septembre quand vos tantes réactionnaires étaient sorties avec leurs banderoles. M'enfin, il ne devait pas être plus de trois ou quatre pecnots, rien de bien impressionnant en somme. L' Europe à pourtant l'air vraiment en rogne. Que faire? Vous essayez de changer de sujet.

 Privilégiés et déprimés 

  

Soudain les retraites vous reviennent en mémoire et vous commencez à déblatérer que le travail est difficile (vous n'en avez pas l'expérience, mais vous en êtes intimement persuadé) surtout à 62 ans (vous n'êtes néanmoins pas pressé d'y arriver). Mais un cri de l'Europe vous stoppe tout net. Selon elle, les français sont des privilégiés qui se languissent six années de plus sur la côte d'azur que leurs concitoyens, sans pour autant pouvoir se le permettre avec leurs 42 milliards de déficit. Elle vous conseille en même temps de fermer la bouche pour ne pas gober les mouches: Ces chers allemands ont déjà prévu leur retraite à 67 ans sans broncher, tout comme les tchèques ou les grecs, et même les espagnols, ce peuple au sang chaud, vont bientôt s'y mettre. Une seule chose vous tracasse: Il ne semble pas que la grève soit vraiment autorisée en Allemagne. De plus les tchèques comme les espagnols ont l'air bien trop déprimés pour dire quoi que ce soit en ces temps d'austérité. Néanmoins vos objections n'ont pas l'effet escompté. Il ne faut qu'une seconde à l'Europe pour se transformer en une terrifiante commission européenne dont les membres ne vous disent absolument rien (normal, est-il nécessaire de vous rappeler que vous ne les avez pas élus?). Sans transition, elle exige que vous vous mettiez au norme, comme tout le monde, sans discuter, car l'économie l'exige. Cela dit, elle vous jette à la rue.C'est un peu fort!Et dans un brusque sursaut démocrate, vous tombez dans les pommes.

La rue, coin favori des français

 


Dans votre inconscience, vous percevez tout de même certaines réalités. La France est un pays né avec la Révolution française, d'une protestation du peuple, de la proclamation de ses libertés sinon réelles, au moins idéales, d'un serment aussi, reliant toutes les couches de la société. Quant à l'Allemagne, elle n'a fait de révolution que par le haut, l'Arbeiterkraft de l'empereur Bismark, dont s'est inspiré Hitler, reste encore dans les mémoires. En Angleterre, le peuple n'a jamais eu de réelle place, le pays préférant la justice dans le commerce (the fairness) à l'égalité de droit des hommes. Alors vous pouvez rejoindre les arguments de l'Europe et obéir aux marchés que vous soyez de droite ou de gauche, mais le constat est fait : Aujourd'hui vous êtes les seuls à pouvoir sortir dans les rues pour sauver sinon les retraites au moins la France et ce qui reste de la fierté d'une Europe unie, au delà des marchés et des conjonctures.
A cet instant vous vous réveillez, refermez le journal et repartez étudier comme si de rien n'était...

dimanche 28 novembre 2010

Wikileaks, nouvelle chimère du journalisme


Ce 28 novembre, le journalisme s'est affublé d'une nouvelle chimère du nom de Wikileaks. Monstrueuse, elle l'est comme toutes les autres, mais sa transparence laisse présager une nouvelle forme d'oppression. Qu'adviendra t-il donc du journalisme sous Wikileaks?
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"Une bête monstrueuse", voici comment Baudelaire définissait la Chimère dans Le Spleen de Paris. Pour éviter le regard de l'homme, elle se campe sur son dos l'enveloppant et l'opprimant de "ses muscles élastiques et puissants". Ce monstre, idéal de nos fantasmes et de nos oppressions, n'omet personne et encore moins le journalisme. Chantre de la liberté d'expression et de la transparence, il en a trouvé une à sa mesure. Mais bien lourde à porter, elle se matérialise et prend forme sous le nom d'un site Wikileaks. Qu'est-elle donc? Virtuelle, elle se veut transparente et porte sa monstruosité dans les failles de la démocratie, grignote à chaque instant les organes officiels des états démocratiques et ouvre la plaie sans ménagement. Ce n'est pas une bête réflichissante, c'est une bête de l'action. A l'inverse du citoyen passif, la bête transparente se veut active, donnant scoup et spectacle sans octroyer pour autant de remède. Elle fait oublier l'ancienne chimère attachée avec fierté au dos du journalisme.

Il fut un temps, le journaliste avait bien pour idéal d'être "l'ami du peuple", le médiateur entre l'état et le citoyen, le chantre de la démocratie. De fait, il s'attachait à défendre une image de lui même en accord avec ses principes: Justicier au grand coeur, redresseur de torts, le journaliste a eu bien des casquettes quelques peu présomptueuses mais aucune ne lui fut préjudiciable. Ses chimères alors se justifiaient dans les mots d'Albert Londres :"Le métier de journaliste est de porter la plume dans la plaie". Pour que cela se fasse,  il fallait un travail d'investigation acharné, de recherche aussi des sources et des auteurs. La plume était alors capricieuse et c'est avec adresse qu'il fallait la manier, faute de quoi le billet restait sans lendemain. Cette chimère a aujourd'hui disparu. Elle ne s'est pas complètement volatilisée mais s'est éteinte, non pas que le journaliste n'en veule plus, mais un certain laissez-aller, une perte de passion journalistique, une perte de sens de la profession à entraîner la déliquescence de la bête. Le journaliste s'est mûré en lui même, ne parlant de démocratie, il a préféré la liberté de la presse et la transparence. Regrettons à jamais cette monstrueuse mais belle chimère d'un autre temps.

Aujourd'hui la bête est Wikileaks, nous l'avons dit. Mais si elle fonde le travail journalistique, elle l'a déjà surpasser, lui faisant perdre son sens et sa légitimité. Car que signifie publier des informations en portant Wikileaks sur son dos? C'est proprement faire du copier-coller. C'est déplacer quelques infimes partie de la bête, choisir les meilleurs morceaux et les faire fructifier dans une analyse rondement menée. Et cela fait partie de la, excusez-moi du terme, nouvelle "mission journalistique. C'est alors que l'homme de plume, cherche, gêné, à faire tomber sa chimère. Il veut légitimer son action. Nous l'avons analyser, disent-ils, avant de vous le donnez, nous avons donc fait preuve de "discernement". Il est néanmoins difficile de ne pas remarquer que la bête, loin de tomber, resserre ses griffes sur son dos et commence à s'étendre, inaltérable et envahissante. Elle n'est plus seulement une simple source dans laquelle le journaliste puise son inspiration, elle est pour ainsi dire la source dans laquelle il se noit.  Wikileaks s'est engouffré dans la brêche que le journalisme avait ouvert entre lui et la démocratie. Il y a apporté la gangraine. il s'est alors fait à la fois son remède, sa raison d'être,son maître et sa chimère.

"Aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos, on eut dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même."Baudelaire A chacun sa chimère Le Spleen de Paris

Appel Citoyen

Alors qu'internet s'ancre au cœur du politique suite aux publications de Wikileaks, l'écart entre le citoyen et l'Etat se creuse : L'un crie « victoire», l'autre « tyrannie ». Aperçu.

 

Au grand dam de Louis Brandeis, fondateur de la Transparence, la lumière du soleil ne « désinfecte » plus le regard du citoyen désabusé. Chaque jour amène de nouveaux mémos diplomatiques et l'information passe, vérité officieuse devenue officielle, dans les grands titres de nos journaux. Mais si la transparence, à laquelle Wikileaks et les journalistes se réfèrent constamment, a évidemment gagné du terrain, il n'est pas sûr que cet idéal ou, dirais-je plutôt, cette idéologie, aide le citoyen à reprendre confiance en la démocratie. Il serait même plutôt le moteur de son désenchantement. A l'origine, pourtant, le mouvement de la transparence, débuté au États-Unis, poursuivait un autre but: en éclairant le citoyen sur les défaillances de l'état, celui-ci aurait dû pouvoir jouir pleinement de sa fonction et juger en conséquence. Considéré ainsi comme une vertu démocratique, le mouvement a pris une telle ampleur que rares sont aujourd'hui les domaines où le mot «transparence » n'existe pas. Il est économique, quand on parle de la transparence des banques, il est sociologique, quand Facebook devient producteur d'un lien social virtuel, il est politique quand Tony Blair fait voter une loi sur la liberté d'information en 2005. Souhaitable sans aucun doute pour une meilleure visibilité des organismes économiques et étatiques, la transparence a aussi de nombreux effets pervers pour la démocratie. Et Wikileaks en offre un des meilleurs exemples.

Un 28 novembre dans l'Histoire


Les conséquences de ce 28 novembre nous sont encore inconnues. Et pourtant, il est certain aujourd'hui qu'il constitue une nouvelle étape dans l'histoire des états démocratiques et cela pour trois raisons: c'est la première fois que des documents diplomatiques officiels ont été jetés à la face du monde. En s'attaquant à la raison d'état, Wikileaks a touché le cœur de la sphère politique. C'est un acte sans précédent et à long terme une pure folie, car la diplomatie américaine a vu la confiance, qu'elle avait instauré avec difficulté dans les pays arabes notamment, s'évanouir en moins d'un clic. En rompant ainsi cet équilibre dans les relations internationales, Wikileaks et ceux qui l'ont suivi ont donné aux dictatures une raison légitime de brider un peu plus la liberté d'information. Hu Jintao peut aujourd'hui se féliciter d'avoir aussi bien sécuriser son Web. Mais plus grave encore est la réaction de nos états démocratiques. Déjà le rejet systématique de Wikileaks et les poursuites judiciaires sont les symptômes d'une peur incontrôlable. Une telle attaque ne peut contribuer qu'à plus d'opacité et à l'installation durable d'une perte de confiance à l'intérieur même de l'organisme étatique mais aussi, et c'est bien pire, entre l'état et le citoyen.

Après la publication des dossiers, le climat de défiance qui régnait déjà entre ces deux entités s'est encore exacerbé. L'un s'est émerveillé de voir son pouvoir de surveillance se renforcer, l'autre a pris peur et a commencé une chasse à l'homme. Cet écart entre les deux n'est cependant pas une nouveauté. Les contre-pouvoirs, qui par leur définition même s'opposent à l'état, ont pris une telle importance de contrôle et de surveillance que le citoyen se conçoit aujourd'hui moins comme un citoyen-électeur que comme un citoyen-surveillant. La politique elle-même provoque plus de répugnance que de volonté et l'impuissance du citoyen relayé par celle de l'état devant les instances économiques, en est aussi en partie la cause. C'est dans cette faille de la démocratie moderne que Wikileaks a pu entrer. Tel un corps étranger dans un organisme, il a contaminé la plaie rendant impossible tout retour en arrière.

Ce 28 novembre, Wikileaks, à travers Internet, s'est aussi autoproclamé nouveau « contre-pouvoir ». Un site informel, sans queue ni tête, sans légitimité, s'est vu propulsé sur le devant de la scène grâce à cinq journaux internationaux. Ainsi ceux qui font traditionnellement tout l'exercice de la démocratie, ont laissé Wikileaks s'infiltrer à l'intérieur sans se soucier des conséquences et pour une seule chose: le scoop. Aussi certains journalistes ont pu en toute impunité parler de Julian Aussange comme d'un idéaliste. Néanmoins, le mot qui serait plus juste d'employer est celui d'idéologue. Loin en effet de proposer un idéal qui entraîne les hommes vers un avenir plus juste ou plus attrayant du moins, Wikileaks veut miner le politique jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un cadavre dénué de toute passion. Car le site ne se fonde que sur un primat négatif: Le politique est mauvais de par nature et il est là pour le révéler. De fait, bien loin d'être l'outil d'une démocratie plus participative, internet, à travers la transparence, est devenu l'instrument et le moteur du terrible désenchantement qui hante aujourd'hui la démocratie. Néanmoins il nous reste à espérer que l'idéal démocratique sera plus fort que l'idéologie transparente. Encore faut-il lui donner du sens.

Donner du sens à la démocratie


Mettre à nu la démocratie ne signifie pas donc lui donner plus de sens. Le regard ne peut révéler une quelconque vérité politique. Comme l'indiquait Madame de Chartres dans la Princesse de Clèves à propos de la Cour du Roi: « Si vous jugez sur les apparences en ce lieu ci, vous serez souvent trompé, ce qui paraît n'est presque jamais la vérité ». Plus le regard se fait juge dans une société, plus les apparences prospèrent. Il faut donc s'opposer à la transparence absolue, tel que l'entend Wikileaks. Pour autant, il est nécessaire de fonder un mouvement qui consolide notre démocratie. Nous ne vivons pas dans une nouvelle URSS où la « Glaznost » est une nécessité absolue mais dans un monde qui attend des générations futures une action responsable. Cette action responsable nous ne pouvons le faire qu'en intégrant les nouvelles technologies dans une forme de solidarité, mot qui en a remplacé un autre plus lourd de significations: l'intérêt général.

Aujourd'hui l'idéal démocratique, qui fait du citoyen un homme actif et responsable dans la vie politique, est encore une conquête et non pas un acquis. La « liberté, l'égalité, la fraternité » sont loin en effet d'être devenus réalités. Et c'est pourquoi il faut encore y croire, car le politique est bien plus objet de croyance que de savoir. La place prépondérante de la religion dans la cité grecque en est un des parfaits exemples. Aussi la période charnière qui est la nôtre nous laisse de nombreuses perspectives d'avenir. Nous pouvons faire le choix de garder encore espoir dans l'idéal démocratique et parfaire nos institutions politiques. Mais cela ne peut se faire qu'à travers une seule idée : la participation. Cette participation n'est pas seulement une participation au vote mais aussi une participation de chacun dans la sphère politique. Et internet nous en donne actuellement le pouvoir.

Pour autant cette action ne peut être univoque. État doit aussi rétablir le lien, aujourd'hui rompu, entre lui et le citoyen. Son silence dogmatique lors des manifestations, l'impossibilité d'engager un véritable dialogue et d'expliquer les décisions prises doivent être sanctionnée, car il est potentiellement dangereux pour les deux entités. La nouvelle génération se doit aussi d'être consciente de ce que signifie servir l'État et servir la démocratie. L'intérêt général doit au moins idéalement être la mesure de toute action politique. Si nous y arrivons, peut-être aurons-nous enfin acquis ce « supplément d'âme » que Bergson appelait de ses vœux.