Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

mardi 20 novembre 2012

Il en parlait déjà... Petite citation




"Moins tu peux payer... Plus tu payes!"

Ce bout de phrase est tiré d'un fameux sketch de Coluche : "le délégué syndical", qui date d'au moins trente ans maintenant. Pour le contexte, Coluche disait cela du crédit que son personnage avait contracté en achetant une maison en Normandie. Et cette phrase rencontre un écho notable dans l'actualité de ce mardi 20 novembre : l'agence de notation Moody's a baissé la note de la France, de AAA à AA1. Une des conséquences attendues, c'est que la France empruntera certainement à des taux supérieurs (actuellement le taux d'emprunt de la France est de 2.1%, et celui de l'Allemagne de 1.3% (chiffres de France 2)), car on la juge moins capable de rembourser sans risque. D'où cette citation illustrant à merveille la logique économique à l'oeuvre : "Moins tu peux payer... Plus tu payes!"


Pour la petite histoire, plus loin dans son sketch, Coluche disait de ce fameux crédit : "C'est la formule Merlin, pendant le crédit tu répares ce qui s'écroule... Et au bout de 15 ans les ruines sont à toi."



"La jouissance" de Florian Zeller, un roman européen

Qu’il y a-t-il de commun entre la crise européenne et le couple contemporain? En une centaines de pages, Florian Zeller nous ouvre les portes d’une société de la jouissance à l’allure bien tyrannique. 


Passé maître de l’expression scénique, après six années sur les planches, Florian Zeller revient avec un nouveau roman à l’accent très théâtral. Construit en trois  actes à valeur chronologique, « l’ode à la joie », « le sacrifice » et « la tyrannie »,  l’ouvrage fait vivre trois personnages aux caractères bien distincts: Nicolas, trentenaire aux ambitions artistiques déçues,  Pauline, une « sentimentale » qui travaille dans une entreprise de cosmétique, et un chœur à l’accent tragique qui, mêlant anecdotes et faits d’Histoire, raconte la construction d’une Europe qui nous ressemble. 

Tragédie sans en avoir l’air, ce roman est avant tout celui de la désillusion, vis-à-vis de l’amour d’abord puis de l’idée européenne. A l’Europe flamboyante des années 70 et 80, au temps où Helmut Kohl et François Mitterrand se prennent «  main dans la main », aux premiers pas d’une histoire amoureuse succède le moment du sacrifice, une action  nécessaire mais improbable dans une société mue par la jouissance. Au couple de Pauline et de Nicolas, en profonde déliquescence, répondra la perte de sens de l’idée européenne dans un monde incapable de considérer l’Autre.  

Alors, quand « marcher ensemble » devient impossible, au moment où d’aucun n’est disposé à faire de concessions pour l’autre,  la crise apparaît. Une  crise sentimentale, idéologique et politique. C’est la tyrannie, celle de la jouissance, qui fait loi. Au bout de ce chemin, il y a surtout une création, un enfant, venu bien trop tard ou au contraire bien trop tôt, chez des êtres devenus profondément incapables de penser à autre chose qu’à leurs propres désirs. Bien loin d’être salvateur, l’enfant provoque la crise et fait mourir le couple. 

De la petite histoire d’une  séparation au caractère bien banal, Florian Zeller en fait une chronique contemporaine et l’accroche à la Grande Histoire d’une Europe qui déçoit. Parce qu’on ne peut plus penser l’autre sans passer par le filtre de soi-même et parce qu’on ne peut davantage penser l’Europe sans la montée du nationalisme, il est tout autant devenu  impossible de faire un enfant en l’aimant pour lui-même. 

Derrière la tragédie moderne,  l’ouvrage s’adresse à une nouvelle génération en quête de sens. Tout en interrogeant notre manière de vivre,  il ravive, et pour longtemps,  les consciences du monde de demain.

Editions Gallimard – Sortie en juin 2012 – 160 pages

lundi 19 novembre 2012

" La réponse est oui, mais quelle était la question?" [Woody Allen]


La NASA
Un orchestre
Narcisse
L'oenologie
Une coupole
La traite
Homeland
l'Espagne
Un encéphalogramme
Alain Poher
Les claquettes

Avouez, cette énumération vous laisse dubitatifs. Qu'est ce donc? Une liste de courses? Une liste à la Prévert? Une énigme? Un jeu d'association d'idées? Et bien non, rien de tout cela. Il s'agit en fait des premières réponses aux questions de l'émission "Questions pour un champion" du 16 novembre 2012, diffusée sur France 3. Oui mais voilà... Sans les questions qui vont avec, difficile de savoir de quoi l'on parle n'est ce pas?

Ceci, je le pense, peut et doit s'appliquer au journalisme, à la politique et a fortiori au journalisme politique. Trop souvent on nous présente uniquement les réponses des personnes interrogées, sans d'ailleurs savoir qu'il s'agit d'une réponse à une question. Et ces réponses, reprises en boucle, d'un média à un autre, tendent à devenir une déclaration à part entière plutôt qu'une réponse. "Pourquoi jouer sur les mots?" Me dirait-on, après tout c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Je ne le crois pas. Quand on sort une phrase de son contexte on loupe toujours quelque chose, on perd toujours un peu du sens.

Prenons un exemple pour mieux comprendre : celui des polémiques politiques. Un tel fait une déclaration, un autre réagit à ce propos, puis un autre, puis un autre, chacun donnant son avis, l'affaire gagnant l'ensemble de la sphère politique. Est-ce aussi simple? On oublie souvent, car cela est rarement mentionné, que les réactions sont souvent le fruit d'une question, par exemple : "Que pensez-vous des déclarations de Monsieur Untel?". Un premier problème surgit alors : l'homme politique aurait-il pris position de lui-même si on ne lui avait pas posé la question? Second problème, la question posée influe-t-elle sur la réponse donnée? Nous touchons du doigt ici une problématique qui n'est pas sans rappeler celle de l'œuf et de la poule : savons nous en effet si ce sont les politiques qui se servent des médias (à des fins politiques donc), ou si ce sont les médias qui se servent des politiques (pour rechercher le scoop ou faire le buzz)? Autrement dit, est-ce que le journaliste pousse l'homme politique à prendre position en posant sa question, ou est ce que l'homme politique se sert des médias comme tribune en feignant de répondre à une simple question? Et est-ce que la question posée importe peu, puisque l'homme politique veut avant tout faire passer un message devant la caméra, ou est-ce que le journaliste cherche à obtenir une réponse bien précise de l'homme politique en orientant sa question? C'est un débat qu'à mon sens nous ne sommes pas près de résoudre, car il y a certainement un peu des deux.



Nous pouvons tout de même affirmer que la question posée influe sur la réponse et qu'en cela il est impératif de la connaître pour être bien informé. Quiconque s'intéresse aux méthodes de sondage en conviendra, la question fait tout. Prenons l'exemple de la conférence de presse de François Hollande de mardi dernier, et du sondage BVA publié par le Parisien le surlendemain. Il est tout d'abord intéressant de noter que les questions posées dans ce sondage ne nous sont pas données, mais se déduisent à peu près des réponses. "Avez-vous trouvé François Hollande convaincant?". Voici une question pour le moins vague. Convaincant par rapport à quoi? Sur quel point? Et qu'est-ce que vous entendez par convaincant? Je vais exposer ici une hypothèse personnelle : Il me semble que plus une question sur un homme politique est vague ou au contraire plus elle est techniquement compliquée, alors plus elle revient à demander "Aimez-vous cet homme politique?", ce qui peut fausser largement l'interprétation des résultats. D'autre part, les instituts de sondage semblent en mesure de prévoir à peu de chose près quel type de réponse qu'ils pourront obtenir en posant telle ou telle question, et de choisir en fonction. Voilà qui illustre parfaitement les propos de Woody Allen dans le titre. Rappelez-vous il y a quelques mois quand Georges Papandréou, alors à la tête de la Grèce, voulait organiser dans son pays un référendum sur la sortie de crise proposée par l'Europe, référendum qui n'a finalement pas eu lieu. Tout le problème résidait alors dans la question que l'on allait (ou pas) poser aux Grecs. Schématiquement, allait-on leur demander "Etes-vous d'accord avec les mesures proposées par l'Europe pour sortir de la crise?" ou bien "Voulez-vous sortir de l'Europe?". Deux questions qui étaient liées car refuser les mesures de l'Europe c'était alors s'en détacher, mais l'on pressent bien que les réponses auraient été bien différentes en posant l'une ou l'autre de ces questions.

Tout cela pour dire que pour être bien informé, il faudrait dans l'idéal préciser partout que telle personne répondait à telle question quand elle a dit cela. Or cela passe bien trop souvent à la trappe. Parfois on trouve mentionné "interrogé sur tel sujet, Monsieur X a déclaré...", mais cela reste rare et encore vague. A ce titre, l'émission qui est, à mon sens, une des plus honnête à ce sujet reste Le Petit Journal de Canal+. Certains prétendent qu'ils ne font pas du journalisme, toujours est-il que lors de leurs micro trottoirs, on entend presque toujours la question qui est posée aux personnes à qui l'on tend le micro.

Mais pourquoi les questions posées ont-elles ainsi tendance à disparaître? On serait tenté de penser que cela vient de la multiplication des formats courts où l'on prétend aller à l'essentiel. L'essentiel, c'est-à-dire ce que disent les personnes interrogées. On peut penser également que le journaliste ne considère pas sa question digne d'intérêt, et que seule la réponse compte, et dans ce cas il aurait bien tort car il est des questions très pertinentes auxquelles on répond par de la langue de bois. Enfin pourrait penser au contraire que le journaliste n'estime pas devoir être jugé et/ou critiqué par l'opinion publique. Et encore une fois il aurait bien tort. Le public a le droit de considérer une déclaration d'un homme politique brillante ou complètement idiote, comme il a le droit de juger la question posée, brillante ou complètement idiote, c'est selon.

Pour conclure je dirais donc que la réponse est oui, mais quelle était la question déjà?

vendredi 16 novembre 2012

La conférence de presse de François Hollande en (quelques) chiffres

Depuis la conférence de presse de mardi derniers, les mots du Président de la République ont été repris en boucle dans les médias. Quoi de plus naturel? Mais dans "conférence de presse" il y a "presse", et qui dit "conférence de presse" dit questions. Voici donc quelques statistiques compilées pour analyser cet évènement du côté des journalistes.





40 minutes et 40 secondes

C'est le temps qu'a duré le discours d'introduction de François Hollande.




400

C'est le nombre de journalistes qui étaient présents ce jour là dans la salle des fêtes de l'Elysée.

Et parmi ces 400 journalistes, 33 seulement ont pu poser une question.



Difficile de savoir si la parité était respectée parmi les 400 journalistes, c'est en revanche plus facile si l'on s'intéresse aux journalistes ayant posé une question. [valeurs absolues : hommes : 23 ; femmes : 10]


Parmi les questions posées, certaines venaient de journalistes télé, d'autres de journalistes de presse ou de radio, ou encore du web. Voici la répartition. [valeurs absolues : Télévision : 10 ; Presse : 10 ; Radio : 5, Web : 2 ; Journalistes ne s'étant pas présentés : 5 ; Journaliste freelance : 1]



Voici maintenant la répartition des questions posées en fonction de l'affiliation des journalistes à tel ou tel média  :
                                



De ce tableau nous pouvons déduire d'autres chiffres sur les médias représentés par les journalistes ayant posé une question :

[valeurs absolues : service public : 8 ; privé/indépendants : 16 ; international : 3. Les journalistes ne s'étant pas présenté et les journalistes freelance n'ont pas été comptabilisés]


[valeurs absolues : France Télévision : 2 ; Autres chaînes publiques : 3 ; Radio France : 3 ; Radios privées indépendantes : 1 ; Groupe Lagardère : 2 ; Groupe Bouygues : 1 ; Groupe NextRadio TV : 1 ; Edouard de Rothshild : 1 ; Groupe Perdriel : 1 ; Groupe Canal+ : 1 ; Socpresse : 1 ; Groupe Amaury : 1, Groupe Le Monde : 2 ; Indépendants Web : 2 ; AFP : 1 ; International : 3.]


Enfin, nous pouvons voir par l'intermédiaire de ce tableau les thèmes qui ont été abordés par les questions lors de cette conférence de presse :



Tout cet exposé de chiffres part d'une remarque toute simple. Alors que la plupart des commentateurs s'évertuent à décrypter les propos du Président de la République, nous pensons nous qu'une analyse des réponses, pour être complète, appelle de fait une analyse des questions.

jeudi 15 novembre 2012

Concerto à la mémoire d’un ange d'Eric-Emmanuel Schmitt


Prix Goncourt de la nouvelle 2012, le "Concerto à la mémoire d'un ange" d’Eric-Emmanuel Schmitt interroge: Avons-nous le pouvoir de changer notre vie? 



Dans ce livre de nouvelles du prolifique auteur Eric-Emmanuel Schmitt se joue une curieuse mélodie en quatre actes, alternance d'admiration et de haine, d'amour et de poisons, de meurtres et de désirs. Aucune fausse note n'interrompt ce concerto qui s’amuse à déjouer toutes les partitions possibles pour improviser autour d’une même gamme : Sainte Rita. Qui peut-elle bien être ? « Une femme » nous dit Catherine, première dame de France que la passion pour son mari déchire. A travers Rita, conciliatrice des mœurs, musicienne de l’impossible, c'est l’humanité qui soudain apparaît capable d’inverser son destin. En somme, « sommes-nous libre de changer? ». Si le docteur en philosophie répond par l'affirmative, l’auteur, lui, cherche les nuances et trouve, dans ce livre, la tonalité juste. 

samedi 10 novembre 2012

Des fleurs pour Algernon


Que feriez-vous si l'on vous donnait la possibilité de devenir intelligent? Plus que cela, de devenir très intelligent, plus intelligent que tout le monde, un vrai génie? Et que feriez-vous si ce don vous était enlevé?





Le Studio des Champs Elysées joue actuellement la pièce Des fleurs pour Algernon, tiré du roman du même nom écrit par Daniel Keyes. Disons le tout de suite, cette pièce est une franche réussite.

Algernon est une petite souris de laboratoire. Deux scientifiques reconnus ont voulu tester sur elle une opération visant à accroître son intelligence. Les résultats sont époustouflants et incitent les scientifiques à passer aux tests humain. Charlie Gordon est le sujet choisi pour l'expérience, son QI ne dépasse pas 68 et il se fait régulièrement battre par la petite souris, devenue intelligente, lors du test du labyrinthe. Mais il a une grande envie d'apprendre, une envie stimulée par Miss Kinian, sa charmante professeur qui lui enseigne la lecture et l'écriture. L'opération est un succès! Progressivement Charlie devient intelligent, plus intelligent que tout le monde. Il découvre le monde en même temps que le savoir, la connaissance, et même l'amour auprès de Miss Kinian, devenue Alice. Mais un jour, la petite souris décline, régresse et finit par mourir. Dans quelle mesure les destins de Charlie et d'Algernon sont ils liés? Que peut-on faire quand l'on sait que l'on va redevenir bête, et que rien ne l'empêchera?

Voici pour l'intrigue, cette dernière étant magnifiquement servie par une mise en scène bien pensée. Gregory Gadebois, l'acteur pensionnaire de la Comédie Française, est seul en scène et réussit la remarquable performance de faire vivre à lui tout seul l'histoire et les différents personnages à travers l'oeil d'un Charlie plus que convaincant, bouleversant. La scène est étroite, carrée, entourée de projecteurs aux fils apparents, c'est la cage scientifique à travers laquelle Charlie est observé. Cette scène, c'est également la tête de Charlie Gordon, brouillonne, désordonnée, une véritable cage en elle-même, mais aussi un poste d'observation à partir duquel il regarde les autres. Cette mise en scène particulière réussit le tour de force de nous faire rentrer dans le cerveau de ce personnage, là où tout se passe. Assis sur sa chaise, Charlie Gordon nous raconte alors à sa manière ce qu'il lui arrive, seul. Car la solitude de l'acteur sur scène est un reflet de la condition de son personnage, éternellement "inadapté", ce sont ces termes. Bête, il est mis à l'écart. Intelligent, il les surpasse tous. Les autres, il ne peut les croiser que deux fois, brièvement, une fois en montant, une autre fois en redescendant.

Cette histoire particulière donne lieu à des moments touchants mais aussi à des instants de rire, dus à la fois à la gentille naïveté de l'homme simple et à la condescendance du génie, le tout très justement interprété par Gregory Gadebois. On retrouve à certains moments ce procédé critique et humoristique qu'avait déjà utilisé Montesquieu en son temps dans Les lettres persanes. Charlie Gordon devenu intelligent s'apparente ainsi à un étranger découvrant un nouveau monde et ses moeurs étranges. Le long et savoureux passage du décryptage de la bise en est un parfait exemple.

"Des fleurs pour Algernon" explore donc le double cheminement d'un homme simple devenant un génie, et celui d'un génie régressant jusqu'à devenir simple. Mais plus que dans ce processus, c'est dans les relations avec les autres personnages, ceux qui ne sont pas là, que cette pièce réussit à nous émouvoir le plus. Grégory Gadebois, formidable dans ce rôle, réussit d'ailleurs à nous faire oublier qu'il est seul en scène, et lorsqu'on se mêle à la foule qui sort du théâtre et qu'on écoute les conversations, on ne peut que constater que cette prestation a fait l'unanimité.

"Des fleurs pour Algernon" est une pièce adaptée du roman du même nom par Gérald Sibleyras, mise en scène par Anne Kessler et jouée par Grégory Gadebois. Elle se joue au Studio des Champs Elysées à Paris jusqu'au 31 décembre 2012, à voir absolument!