Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

mercredi 27 février 2013

Viva l'Opéra! Ou pas...


Voilà trois ans que les cinémas UGC ont lancé "Viva l'Opéra". Le but? Démocratiser l'opéra, le rendre accessible à tous en le faisant entrer dans les salles de cinéma à un prix défiant toute concurrence. Un véritable succès en terme de fréquentation? Assurément! Une belle opportunité pour ceux qui n'ont pas les moyens d'aller à l'opéra? Sûrement! Une petite hypocrisie? Peut-être!




L'opéra pas cher?


Falstaff, Le Chevalier à la rose, Hänsel et Gretel...En 2013 encore, la programmation de Viva l'Opéra fait rêver. Grâce à UGC, vous pourrez assister à ces spectacles pour des prix compris entre 10 euros (si vous avez moins de 26 ans) et 28 euros (tarif UGC normal pour un opéra). C'est nettement moins que ce que vous devriez débourser en allant à l'Opéra Bastille, pour voir Falstaff par exemple, spectacle pour lequel les prix grimpent jusqu'à 180 euros.

C'est derrière cette économie importante (il faut bien le reconnaître) que se cache la petite hypocrisie du dispositif. Démocratiser l'Opéra? Le faire passer de la culture d'élite à la culture populaire? Le rendre accessible au Français lambda? Très bien! Parfait! Magnifique! Mais alors... Pourquoi la place n'est-elle pas à 10 euros (et quelques) en tarif plein, ou moitié moins cher pour les tarifs réduits, comme pour les autres séances? Les spectateurs sont assis dans une salle de cinéma, sur des fauteuils de cinéma, dans un cinéma, et regardent ce qui est projeté sur l'écran blanc du cinéma. Pourquoi la place est-elle alors à 28 euros? Sous couvert de démocratisation, on entretient le côté élitiste de cet art : dans un cinéma l'opéra est ainsi  trois fois plus cher que n'importe quel film, y compris les films en 3D. Il est d'autre part réservé à quelques chanceux puisque pour un même opéra, les séances sont au nombre de une par cinéma concerné. Nous sommes également encouragés à réserver nos places sur internet, sur un site dédié dont l'esthétisme raffiné rappelle furieusement les sites des vrais opéras. Non décidément, on ne va pas voir un opéra à l'UGC comme on irait voir un film normal.

Ne soyons pour autant pas obtus. Il existe des arguments qui plaident en faveur de ce tarif de 28 euros. Pensons notamment au direct qui est un bon argument de vente. C'est la promesse d'assister à l'opéra comme si on y était puisque le spectacle se déroule en même temps devant les gradins du théâtre et devant les sièges du cinéma. Organiser un direct mobilise manifestement beaucoup de moyens et justifie sans doute le prix affiché. Et nous pourrions fort bien souscrire à cet argument si le direct était généralisé. Or pour la première moitié de 2013 (jusqu'en juillet), sur les dix opéras programmés, "seulement" quatre sont retransmis en direct. Pour le reste il s'agit de retransmissions.

L'Opéra de Paris réalise des captations de ses opéras, et depuis peu (avril 2012) la filiale "Opéra de Paris production" en détient les droits. Conformément à sa stratégie commerciale, elle diffuse ensuite les DVDs de ses productions, notamment dans les cinémas, mais propose aussi des VOD afin d'accroitre la visibilité de l'Opéra de Paris en France et dans le monde. Concrètement, une séance Viva l'Opéra à l'UGC s'apparente donc, quand elle n'est pas en direct, à la diffusion d'un DVD sur grand écran.


D'autres solutions existent


A titre de comparaison, voici une autre démarche : celle d'Arte. Régulièrement, la chaine diffuse des opéras et des concerts de musique classique en soirée, gratuitement donc (la redevance télévisuelle mise à part). D'autre part, Arte dispose aussi d'un site de vidéos à la demande où elle propose certains opéras et concerts à la location (de 48 heures) ou à l'achat (respectivement à 2.99 et 6.99 euros). On est loin en-dessous des 28 euros d'UGC.

Il faudrait également noter l'effort tarifaire que réalise l'Opéra de Paris. Les prix sont en effet en baisse globale dans les salles de spectacle et une bonne partie des places sont proposées à moins de 45 euros. D'autre part, des tarifs inférieurs à 28 euros pour les jeunes ou pour les places de dernières minutes ont aussi été instaurés. Le prix peut descendre jusqu'à 5 euros pour une place debout.


Quelle logique?


En fin de compte l'association entre l'Opéra de Paris et les cinémas, particulièrement UGC, s'avère être un partenariat très profitable. La volonté de démocratiser cet art lyrique est bien réelle mais paradoxalement, les deux parties surfent sur le caractère élitiste de cet art lyrique: l'Opéra de Paris cherche à améliorer sa visibilité et à réaffirmer son prestige, et du côté d'UGC on affirme clairement que les séances Viva l'Opéra doivent rester un spectacle exceptionnel, de haut standing.

Il y a donc bien deux orientations contradictoires à l'œuvre. D'un côté la volonté d'étendre le public de l'opéra à des couches plus modestes de la société mais également aux endroits de France dépourvus de théâtre. De l'autre la volonté de réaffirmer l'exception, le raffinement et l'élitisme de l'art lyrique : diffuser un DVD de Carmen ne doit pas coûter beaucoup plus cher que de diffuser Die Hard 5, mais comme il s'agit d'opéra... la place est à 28 euros. D'un côté l'opéra se démocratise, et de l'autre le cinéma devient élitiste.

Pour illustrer cette évolution nous pouvons nous référer à l'actualité cinématographique la plus déroutante de ces dernières semaines. Elle nous vient de Gaumont-Pathé. La société a déjà doté certaines de ses salles de quelques nouveaux sièges gris tout confort ou de sièges spéciaux pour deux personnes. Ces places seront à vous si vous acceptez de payer un supplément qui peut faire grimper le ticket jusqu'à presque 17 euros. Voilà bien une initiative étonnante dans une période où beaucoup considèrent que ce qui tue le cinéma ce n'est pas le téléchargement mais bel et bien la place à 10 euros. Mais cette initiative témoigne surtout d'une orientation inquiétante : De plus en plus on semble payer pour la place qu'on occupe plutôt que pour ce que l'on vient voir.




jeudi 7 février 2013

L'agonie des quotidiens nationaux: Presstalis contre Copernic

Le Monde et une douzaine d'autres quotidiens nationaux ont boudé les kiosques, ce mercredi 6 févier 2013, faute de distributeurs. Les éditeurs ont renoncé à leurs diffusions suite à un appel à la grève, lancé par les salariés de Presstalis, « leader » français de la distribution de la presse. Le nouveau plan de restructuration de la société, qui prévoit la suppression de 1250 postes sur les 2500 que compte actuellement l’entreprise, fait l'objet du conflit. Parmi les revendications salariales figure la renégociation de l’accord, conclu le 4 octobre 2012 entre Presstalis, les éditeurs et l’État. Qualifié de "rafistolage" et accusé de "démanteler Presstalis", cet accord vise à redresser les comptes de la société au bord du dépôt de bilan depuis 2010. 

Le blocage des titres nationaux constitue le moyen de pression privilégié des grévistes, qui cherchent à faire entendre leurs voix et à réaffirmer le sens de leur travail dans un monde en pleine transition numérique. C’est empreint de cet espoir que Marc Norguez, secrétaire général du syndicat du livre et de la communication écrite (SGLC-CGT), plaide le 22 décembre 2012 « pour une refondation de la diffusion des journaux» dans Le Monde. Mais ils sont peu nombreux à s'être émus de la disparition d'une partie des quotidiens nationaux. Et pour la première fois, plusieurs journalistes dénoncent cette grève et n'hésitent pas à évoquer la mort de la presse papier face à la révolution numérique.

 

Une « funeste » révolution ?

 

           Sur Libération.fr, Nicolas Demorand, directeur du journal, écrit un éditorial à la plume acérée où il affirme : « les ouvriers du livre, en tout cas ceux qui ont décidé d'aller à la politique du pire, pensent qu'en mourant ensemble nous vivrons plus longtemps. Funeste erreur [...] les internautes ne sauront même pas que la distribution de leur journal préféré a été perturbée dans le monde réel. Peut-être est-ce là la préfiguration de l'avenir." Comme pour lui donner raison, les quotidiens n’évoquent pas ou très peu la disparition de leur édition papier du jour sur leurs sites internet. Aucun n’en fait la Une et d'ailleurs, la version numérique du journal est disponible sur la toile. Seul le dessin de Plantu laisse deviner le ressenti des journalistes vis-à-vis de la grève, vécue comme une auto-mutilation.

        A la radio, tout juste peut-on entendre Pascal Clark, qui regrette avec amertume ses journaux papiers: « Bonjour tristesse ! Oui je sais il y a les « fr », il y les « com », il y a le point numérique sur internet, un point c’est tout, mais moi je m’en fous. Je veux des mains sales, je veux des pages qui se tournent et se froissent, je veux des mises en pages, je veux des brèves et il n’y a pas de brèves dans le monde numérique ! » (« Comme on nous parle », 06 février 2013). 

  Lancés autrefois en réaction à des menaces extérieures – la perte du monopole des petites annonces, le détournement du marché de la publicité, l’arrivée des journaux gratuits etc. – les grèves du secteur de la presse se sont transformés en une lutte interne. Les métiers de la presse papier subiraient t-ils le même sort que les anciens carrossiers de Paris du début du siècle dernier, supplantés par les taxis aux benzol et à l'essence ?

Une révolution « copernicienne »

            Au même titre que la vision du monde de Copernic a fait extrêmement peur à la société du XVIème siècle,  l’arrivée du numérique ne provoque pas moins de troubles et d’anxiété au XXIème. Celle-ci est d’autant plus forte que la presse en ligne et ses acteurs se consolident. Le 1er février 2012, un accord a été trouvé entre Google et la presse française pour la création d'un fond propre à hauteur de 60 millions d’euros destiné « à la presse d’information politique et générale » en ligne. Jusqu’ici, les aides provenaient seulement de l’État et bénéficiaient, contrairement aux autres pays de l’OCDE, d’un cadre extrêmement réglementé. Avec ce nouvel accord, le géant américain devrait permettre à la presse française de réussir « la transition numérique » et apporterait de fait son aide aux éditeurs, notamment en ce qui concerne la publicité en ligne.  En pleine croissance, le multimédia, les nouvelles technologies, tablettes, Smartphones, Ipad etc. et leurs applications rendent ainsi possible une nouvelle approche de l’information, plus spontanée, plus proche mais aussi plus rapide que la lecture du traditionnel quotidien national. 

           Ce changement dans notre perception de l'information  n'a pas eu que des effets internes au monde journalistique mais s'est étendu aux frontières même de notre société. L'émergence d'un conflit de génération (révélé par la catégorisation des générations en x ou en y) en est l'une conséquences majeurs. Les plus favorisés par ce changement sont ceux qui maîtrisent l’outil numérique et donc, principalement, les moins de 30 ans. Premiers bénéficiaire d’internet, ils sont également la nouvelle cible des médias qui n’hésitent pas à modifier leurs contenus pour les atteindre. La presse audiovisuelle notamment, à l’exemple d’ARTE, cherche à rajeunir ses téléspectateurs traditionnellement âgés de plus de 35 ans. Ainsi la création de multiples plateformes numériques dont ARTE Creative en 2011 et la mise en place d’une soirée spéciale consacrée aux jeunes permet à la chaine de redéfinir sa place dans le marché audiovisuel et numérique. Mais, derrière ces bouleversements, c’est l’ensemble des rédactions qui déplorent la perte des effectifs et souhaitent un retour en arrière.

Face à cette situation, il revient aux nouvelles générations de s’engager à contrôler ce flux d’information et à responsabiliser l'outil internet. Pour cela, il faudrait, d’une part, rendre obligatoire la maîtrise de la toile et démocratiser les produits des nouvelles technologies afin que la fracture numérique ne reflète pas la fracture sociale. D’autre part, il reviendra à la nouvelle génération d'exiger une presse en ligne de qualité, élément indispensable afin que personne n’ait envie de brûler ce nouveau Copernic, qui change peu à peu notre vision du monde et de la démocratie




FOCUS sur : le système de distribution en France
La loi du 2 avril 1947, réglementant la vente de journaux au numéro, stipule que « Toute entreprise de presse est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenable ». La plus grande entreprise de distribution de la presse en France, Presstalis, propriété de Lagardère jusqu’en 2010, est détenue à 100% par deux coopératives, celle des quotidiens et celle des magazines. 

Dans ce contexte, contrairement à l’Allemagne où la presse « suprarégionale » résiste au numérique, la France souffre d’un marché de la distribution très réduit. Les points de ventes de journaux y sont quatre fois moins nombreux que de l’autre côté du Rhin. De même, la vente par abonnement qui permet aux quotidiens allemands de continuer à avoir une clientèle fidèle n’est pas systématisée en France et n’est pas organisée par la loi.  

mardi 29 janvier 2013

Un sondage, plusieurs lectures

Jeudi dernier, le journal Le Monde publiait un sondage réalisé avec l'IPSOS, le Cevipof et la fondation Jean Jaurès sur les fractures de la sociétés française. Parmi toutes les données du sondage, c'est la défiance envers la religion musulmane qui a le plus retenu l'attention. Mais il y a toujours plusieurs façon d'interpréter une enquête d'opinion.


Le sondage en question le voici (la partie ayant le plus intéressé les médias se résumant aux deux premiers graphiques) :



Naturellement, on a déduit de ce sondage que la société française rejetait l'islam, ou tout du moins qu'elle la jugeait beaucoup moins tolérante et beaucoup moins compatible avec les valeurs de la République que les deux autres religions évoquées, la religion catholique et la religion juive. Les représentants du Front National comme certains de l'UMP se sont d'ailleurs fendus d'un "on vous l'avait bien dit", constatant par là que les Français sont en accord avec les idées qu'ils prônent. Comment critiquer cette lecture? Après tout c'est bien ce que dit ce sondage.

C'est vrai. C'est bel et bien ce que dit ce sondage. Cependant, une autre lecture de ces résultats est également possible. A rebours de ce que nous disent certains responsables politiques sur l'invasion des étrangers et des plus particulièrement des musulmans, je constate que la France reste dans son immense majorité catholique. Voilà ce qui me frappe moi. Attention, loin de moi l'idée de dire que la France est chrétienne par nature ("France fille aînée de l'Église") comme on l'a entendu parfois. Ce serait ignorer qu'avant d'être chrétienne, la France a été polythéiste et païenne. Les Francs sont d'ailleurs à l'origine un peuple païen. Mais effectivement la religion chrétienne s'est par la suite développée en Europe et s'y est installée (en écrasant les autres croyances). Passons sur ce petit cours d'histoire. Ce qui ressort de ce sondage c'est que la France est encore largement chrétienne. Séchez vos larmes, l'invasion n'est pas encore pour tout de suite.

Cela mérite quelques explications. Ce sondage n'a en fait pas beaucoup de sens. Pour simplifier en employant une métaphore triviale, cela revient à demander à des Marseillais quelle équipe de football ils trouvent la plus forte entre l'OM, le PSG et l'Olympique Lyonnais. Prenez ce même sondage, allez le faire dans un pays musulman et vous obtiendrez les résultats inverses. Et il y a tout à parier que si le sondage avait été réalisé en Israël, la religion juive aurait été désignée la plus tolérante. Pour que ce sondage ait un petit sens il n'aurait fallu interroger que des athées, et encore! En l'état, il nous offre principalement un tableau des principales composantes de la société française en matière de religion.


On peut en effet supposer, mais ce n'est là que mon avis personnel, que la religion catholique n'est pas plus tolérante que ses deux consoeurs. Un coup d'oeil dans le rétroviseur historique permet de s'en convaincre. Il suffit de se pencher sur la Saint Barthélémy ou sur les croisades (à la fois contre les "infidèles" en terre sainte, et à la fois contre les dissidents hérétiques en France même (les Cathares pour ne citer qu'eux)) pour admettre que la religion catholique a son lot d'intolérances. Il faut bien voir que son statut en France a changé au cours des derniers siècles. Elle n'est plus religion d'Etat, elle est reléguée dans la sphère privée, les croyants se font de moins en moins nombreux. Mais attention je parle des vrais croyants, pas ceux qui se rendent à l'église une fois par semaine. Je parle de ceux pour qui l'excommunication signifiait la mort, de ceux qui étaient prêt à aller mourir en terre sainte parce qu'on leur promettait la rémission de leurs pêchés, de ceux qui devaient payer des impôts à l'Église, de ceux dont la vie toute entière tournait autour de leur paroisse. Cette emprise de la religion chrétienne a disparu en France. Il est fini le temps où le seigneur et le prêtre étaient les seuls repères des habitants. En Israël, la religion juive a suivi à peu près la même évolution, même si le pays reste par nature un État juif. Mais en ce qui concerne l'Islam, il reste des régions, voire des pays où la religion règle encore tout, où elle a encore le pouvoir qu'avait la religion chrétienne au Moyen-Âge, d'où son "intolérance". Seulement ce serait une erreur d'en déduire qu'elle est moins tolérante que ses soeurs. La religion catholique a évoluée, mais redonnez lui le pouvoir qu'elle avait sur la société aux temps des croisades et il n'est pas exclu que l'intolérance la plus flagrante revienne.

On nous a déjà parlé du caractère humaniste et bienfaisant de la religion catholique. C'est entièrement vrai. Mais c'est le cas aussi dans la religion juive, dans la religion musulmane aussi, et dans d'autres religions, et chez les athées... En fait il s'agit de quelque chose propre aux hommes. Cela prend simplement des formes différentes selon les cas.

vendredi 25 janvier 2013

Parlons de tout sauf des gays! Le point de vue d'une étudiante en communication


Quelle stratégie de communication adopter pour un sujet comme le mariage gay, porteur d’oppositions aussi fortes ? Le gouvernement Ayrault a choisi de s’inscrire dans une tradition socialiste s’appuyant sur les valeurs d’égalité et de liberté. Ainsi a été lancé le projet d’ouverture du mariage aux couples gay, rebaptisé opportunément: « mariage pour tous ».


Une communication gouvernementale tout en subtilité et en sous-entendus pour un sujet potentiellement explosif


Toute la communication du gouvernement s’articule donc autour de cette notion phare d’égalité. Ainsi David Assouline, porte-parole du Parti Socialiste, déclare à propos de la manifestation contre le mariage pour tous : «une manifestation pour empêcher certains d'avoir les mêmes droits, c'est très rare, seule la droite sait faire ça !» tandis que Christina Taubira met en avant l’égalité des droits pour tous les citoyens quelle que soit leur origine sociale, ethnique… et quelle que soit leur orientation sexuelle ! En parlant de « citoyens », elle veut faire passer l’orientation sexuelle au second plan du débat. D’ailleurs le projet de loi, c’est celui du « mariage pour tous » et non celui du « mariage gay ». Mariage pour tous cela pourrait tous aussi bien vouloir dire mariage pour les jeunes, les vieux, les étrangers, les chômeurs. C’est une manière implicite de faire comprendre que de ne pas accorder le mariage aux homosexuels est aussi absurde que de ne pas l’accorder aux chômeurs par exemple ! Bon moyen de dénoncer en creux les discriminations liées à l’orientation sexuelle. Belle ambigüité aussi car si on pousse la logique au maximum, « mariage pour tous » cela peut aussi vouloir dire mariage avec son frère ou sa sœur, ce qui renvoit  à un des plus grands tabous de notre civilisation : l’inceste !

Derrière la formule « mariage pour tous » se cache donc une habilité communicationnelle mettant en avant des aspérités positives (la notion consensuelle d’égalité) et gommant les aspects qui pourraient faire polémique. La formule est facilement mémorisable, simple et compréhensible : tous les ingrédients d’un bon slogan. Mais cela suffit-il à faire adhérer tous les citoyens à ce projet de loi ?

Provoc + humour = médiatisation forte


Face à cela les opposants au mariage gay auraient pu mettre en avant une porte parole conservatrice, droite dans ses bottes, à la vertu jamais remise en cause. Eh bien non ! En communication il faut frapper là où personne ne vous attend ! C’est donc l’humoriste Frigide Barjot, à l’image fofolle de femme libérée - en réalité femme de droite engagée dès les années 80 au RPR et catholique convaincue - qui deviendra l’égérie du mouvement de contestation. Pourquoi est-ce un très bon choix communicationnel ? D’abord parce que les paradoxes et le côté gentiment provocateur d’une femme comme Frigide Barjot (son nom annonce la couleur), c’est une exposition médiatique assurée. Et en effet, la porte parole est invitée sur tous les plateaux de télévision et de radio. Le « buzz » est lancé et le mouvement peut alors monter en puissance. Ensuite parce que pour fédérer des militants très diversifiés il faut une égérie non conventionnelle. Frigide Barjot touche à la fois les jeunes, grâce à son côté fêtard, les cinquantenaires, les catholiques, les non-croyants. De plus, elle décomplexe les personnes modérées qui sont contre le mariage pour tous mais qui n’osent manifester de peur d’être perçus comme réactionnaires.

Grâce à son humour et à son franc parler, elle réussit à s’attirer la sympathie. Son look (on a pu souvent la voir avec une veste de jogging rose bonbon) lui donne une allure « cool » et surtout inoffensive. Très loin de l’image des militants radicaux de Civitas, Frigide Barjot apparait comme une femme moderne et ouverte d’esprit qui défend le droit des enfants. Son émotivité permet au public de s’identifier à elle, elle confie dans toutes les interviews : « J’ai énormément souffert du divorce de mes parents. Je crois que c’est l’un des ressorts de mon combat pour la famille ». Mais Frigide, pas si barjot que ça, a surtout compris que pour étendre le mouvement des « anti », il fallait dépolitiser et décléricaliser la revendication. Elle a de l’expérience puisqu’elle a travaillé plusieurs années dans l’agence de communication politique « Principes » qui géré la campagne de Jacques Chirac en 1995.

Une recette vieille comme le monde


Prendre pour figure de proue une femme afin d’adoucir des idées qui pourraient paraitre trop d’extrême droite. Une certaine Marine Le Pen a appliqué la même recette … Mais il ne faut pas s’arrêter à l’allure légère de Frigide Barjot chantant « Fais-moi l’amour avec les deux doigts ».  En réalité, pas si ouverte que cela sur les sujets de société, elle milite contre l’avortement, contre l’euthanasie, contre le mariage gay et contre l’assistance médicale à la procréation (PMA) y compris pour les couples hétérosexuels. La communication ne peut travestir la réalité bien longtemps...


par A.A., étudiante en communication.

lundi 14 janvier 2013

Le mariage pour tous, première partie : de l'histoire et des notions


En matière de mariage pour tous, les positions de chacun sont pour le moins complexes et diverses. Il y a les homosexuels favorables au mariage, les homosexuels qui sont contre, les hétéro qui sont pour, les hétéro qui sont contre. Il y a ceux qui sont homophobes, il y a ceux qui n'ont rien contre les homos mais qui sont contre le mariage. Il y a ceux qui sont pour le mariage et pour l'adoption et pour la procréation médicalement assistée, il y a ceux qui sont pour le mariage et l'adoption mais pas la PMA, il y a ceux qui sont pour le mariage mais contre l'adoption. Et il y a aussi ceux qui n'en ont rien à faire, il ne faudrait pas les oublier. Bref, il faut de tout pour faire un monde, et tout ce petit monde est en ébullition.




Perspective historique - sauvegarder l'ordre


La France est divisée sur la question du mariage pour tous. Mais pense-t-on que cette division est nouvelle? Si oui, on fait fausse route. Les débats qui agitent actuellement notre société ne datent pas d'hier. Il s'agit en fait d'un éternel recommencement.

Sans remonter aux calanques grecques, je voudrais néanmoins m'arrêter sur une date importante du 19ème siècle: le 27 juillet 1884. Ce jour là, la loi Naquet rétablit le divorce en France, du moins en partie. Le divorce par consentement mutuel n'est pas reconnu (il faudra attendre 1975), seul l'est le divorce pour faute. Cette année là, et les années qui précèdent, les débats sont âpres entre les opposants et les partisans du divorce. Et déjà, il y a 129 ans, on retrouve les mêmes arguments que ceux développés aujourd'hui. La logique est en effet la même. Je vous propose ici des extraits des débats à la chambre des députés le 6 mai 1882:

Monsieur le député des Deux-Sèvres, Henri Giraud : "Messieurs, le divorce que vous demandez aura des conséquences déplorables. Il jettera le trouble dans les ménages, le trouble dans la société ; il attente au bonheur des époux, au bonheur des familles, au bonheur des enfants. Et par conséquent il faudrait quelque chose de très grave, un besoin impérieux, une exigence extrême de ceux que nous représentons ici, pour que nous rétablissions un pareil principe, quand depuis si longtemps l'usage en est aboli. Il faut craindre aussi, messieurs, que le divorce ne provoque l'adultère dans certains ménages (...)".

Un peu plus tôt, ce même député disait également ceci  : "Maintenant, voulez-vous arrêter votre attention sur le sort des enfants? (...) Je voulais, l'autre jour, établir un arbre généalogique afin de me rendre compte de ce que serait la situation des enfants nés de plusieurs mariages successifs, et j'ai trouvé que c'était inextricable. Tout ce que je sais, c'est qu'avec le divorce la situation des enfants sera cent fois pire que sous le régime de la séparation des corps qui est aujourd'hui notre loi. Les enfants auront beaucoup à souffrir, physiquement et moralement."

On retrouve déjà ici les principaux thèmes abordés par les opposants au mariage pour tous : le modèle de la famille en péril, la décadence de la société, le danger pour les enfants, la réforme non réclamée par la population. De fait, ce débat sur le divorce en 1882 et le débat actuel sur le mariage gay se prête magnifiquement bien à une application de la thèse développée par Albert Hirschman dans son livre Deux siècles de rhétorique réactionnaire. L'auteur a ainsi repéré trois figures rhétoriques qui servent de base à toute argumentation réactionnaire (dans le sens de réaction à un progrès, ou à une avancée présentée comme tel) :

- L'effet pervers : qui consiste à dire que les effets non voulus de la réformes seront pires ou à l'opposé des bienfaits escomptés. Dans le cas du divorce c'est la multiplication des adultères, l'augmentation de l'inégalité entre l'homme et la femme.
- L'inanité : qui consiste à dire que la réforme ne changera rien. Dans le cas du divorce, c'est le fait de dire que le mariage est une règle naturelle au dessus de la loi et que de toute façon la population ne demande pas le divorce.
- La mise en péril : ici le terme parle de lui-même. Mise en péril de la famille, de la société, des acquis durement obtenus.

Et cela s'applique aujourd'hui au mariage pour tous (essayez, vous verrez) ainsi qu'à tous les combats qui ont jalonné le chemin entre 1884 et nos jours pour la conservation de l'ordre. Car voilà bien ce qui réunit les opposants au divorce en 1884, les opposants à la pilule en 1966, à l'IVG en 1974, au divorce par consentement mutuel en 1975, au PACS en 1999 et les opposants au mariage pour tous en 2013. Ces derniers sont les héritiers d'une tradition politique qui place l'ordre et son maintien au centre de l'argumentation. Il peut s'agir de l'ordre politique, de l'ordre social, de l'ordre moral, de l'ordre familial ou encore de l'ordre religieux. Ce n'est pas une tare en soi, simplement un constat.

Pour en finir avec ma rétrospective historique, du côté des partisans du divorce, on mettait déjà en avant le principe de l'égalité et de la liberté. Tout comme aujourd'hui. Rien de nouveau sous le soleil donc.



Le mariage en question


Et il y a tellement peu de nouveauté qu'aujourd'hui encore, la principale problématique qui sous-tend toutes les autres, c'est celle de la définition du mariage. Il semble que la division se joue d'abord là-dessus, car le mariage n'est pas compris par tout le monde de la même façon. Je vais me permettre de citer une dernière fois la séance parlementaire du 8 mai 1882, un opposant au divorce prend la parole :

"Il [le rapporteur] vous a montré les sociétés humaines se développant, grandissant, s'étendant, s'épurant par les vertus de la famille ; il vous a montré l'homme, retenu au début dans des liens grossiers, se dégageant peu à peu, par étapes successives à travers les âges de progrès, de la polygamie, pour se renfermer, par ses propres lois, dans le mariage indissoluble. (...) Pourquoi l'honorable rapporteur vient-il en même temps vous dire qu'il faut redescendre le cours du progrès?"

Tout est là. En 1884 comme aujourd'hui, pour une partie de la société, le mariage est l'aboutissement d'une société évoluée, un âge d'or naturel qui voit s'unir un homme et une femme dans le but de fonder une famille indissoluble. C'est bien là que réside le problème. Après plusieurs heures de débat, il résulte que bon nombre d'opposants au mariage pour tous, l'amour n'a rien à voir avec le mariage. Ou tout du moins, ce n'est pas ce qui est le plus important. Le plus important c'est la fondation d'une famille, le mariage étant lié directement à la procréation. Cela se tient, rappelons que pour les puristes, l'acte sexuel ne peut avoir lieu que dans le cadre du mariage, et pour les plus puristes encore, l'acte sexuel n'est alors pas protégé car il a pour but la conception de l'enfant. Voilà sur quel modèle se fondent une partie des opposants au mariage pour tous, le modèle du mariage comme prélude à la famille, le mariage comme engagement indissoluble d'un homme et d'une femme. Dans ce système de pensée, le mariage homosexuel est en effet une aberration, car c'est une union non fertile et non naturelle, qui peut être acceptée, mais non dans le cadre institutionnel du mariage. La Grèce antique est d'ailleurs souvent prise en exemple : l'amour entre homme y est banal et répandu, mais lorsqu'il s'agit d'une mariage, c'est toujours un homme et une femme, car l'objectif encore une fois reste la procréation. Cette partie de la société distingue donc en quelque sorte famille et amour.

Oui mais voilà, la définition du mariage a évolué. De nos jours, l'amour dans le mariage est mis en avant. On se marrie de moins en moins par devoir. Rappelons qu'il n'y a pas si longtemps, les époux et épouses étaient choisis par les parents, et un garçon mettant, accidentellement ou non, une fille enceinte était tenu de l'épouser. Cela est aujourd'hui marginal. L'amour comme raison du mariage est communément admise, même chez les couples précédemment cités cherchant à fonder une famille. Cela tient à l'évolution progressive de la société. Le divorce a mis fin au mariage définitif, la contraception et l'avortement ont permis aux hommes comme aux femmes de gérer leur désir ou non d'enfant. Le résultat de ceci c'est une diversification du mariage. Aujourd'hui on peut se marier sans avoir d'enfant par la suite, on peut faire des enfants hors mariage, on peut se marier, divorcer, se remarier, et fonder plusieurs familles, on peut se marier pour institutionnaliser l'amour, ou bien même se marier uniquement pour les avantages que cela offre en terme de droits et de fiscalité. Les combinaisons sont multiples. On peut même ne pas vouloir se marier. C'était la tendance à la mode chez les jeunes dans les années 1970, où l'institution du mariage était en partie rejetée, au nom de la liberté. A ce titre, il est intéressant de noter ce basculement en quelques dizaines d'année puisqu'en 2013 tout le monde semble revendiquer le droit au mariage, ou en tout cas à son mariage.

Ainsi, du côté des partisans du mariage pour tous, c'est l'amour qui prime, ainsi que le droit pour deux hommes ou deux femmes d'être en couple et de fonder une famille. Là aussi l'évolution de la société a bien aidé. La frontière entre masculinité et féminité, ou plutôt entre paternité et maternité est beaucoup moins tranchée. Certaines pancartes vues dans les manifestations du 13 janvier 2013 à Paris résument bien les  positions traditionnelles de l'homme et de la femme dans le couple, un peu clichées, qui tendent à disparaître si ce n'est pas déjà fait. On a pu lire par exemple "une mère pour la tendresse, un père pour la discipline". L'image du père autoritaire, chef de famille, et de la mère tendre et délicate, ne recouvre plus guère une vérité générale. On peut être un homme sans être autoritaire, on peut être un homme et être une fée du logis, comme on peut être une femme sans être particulièrement tendre ou habile dans les tâches ménagères. Les combats féministes n'ont à ce titre jamais cessé de réclamer la fin des discriminations et l'égalité homme/femme. Le clivage se situe là, entre ceux qui pensent que les rôles de l'homme et de la femme dans le couple ne sont pas interchangeables, et ceux qui pensent au contraire qu'un homme peut très bien assurer le rôle traditionnellement dévolu à une mère et vice versa. Entre égalité et complémentarité. Simple arithmétique : si la femme est l'égale de l'homme, alors la réciproque est vraie et l'un peut bien se substituer à l'autre, par exemple dans la famille. Ou alors on déclare la femme complémentaire de l'homme et l'on voit bien les réactions qu'il y a eu en Tunisie en août 2012 lorsque la nouvelle constitution prévoyait d'employer cette expression...

Le débat actuel prendrait donc ses racines dans la définition même du mariage et de la famille. Des logiques différentes sont à l'œuvre dans chaque camp et ces logiques sont les fondements sur lesquels s'établissent les autres antagonismes. Tout part de là, que ce soit la question des enfants en général, de l'adoption ou encore de la procréation médicalement assistée.

jeudi 20 décembre 2012

La part de l’Autre ou Adolf H. d’Eric-Emmanuel Schmitt


Si Hitler avait réussi les Beaux-Arts,  le monde n’aurait certainement pas le même visage et nous non plus. Suivant cette hypothèse, l'auteur nous peint deux Adolfs asymétriques et nous plonge dans l'Histoire tel que nous ne l'avons jamais vu.

 


Que pouvons-nous apprendre d’un nouveau livre sur Hitler ? Il y en a tellement, des analyses, des histoires, des archives, des déductions dont beaucoup relèvent du pur fantasme : certains voient Hitler comme un dangereux homosexuel frustré, d’autres comme un hétérosexuel sadomasochiste. Centré sur une étude ontologique du dictateur, l'ensemble de ces écrits vivifient son image contemporaine, celle d'un personnage mythologique, presque théologique, ancré par voie de conséquence, en dehors de toute humanité. Et pourtant, Hitler était un homme, il a fait des choix et comme chaque homme, il avait devant lui, ouvert, tout le champ des possibles.  

 

Un miroir déformant    

 

Faire d’Hitler une personne, en somme le comprendre sans jamais le justifier, tel est le défi relevé par Eric-Emmanuel Schmitt. Dans cet ouvrage, deux récits se répondent sans jamais se croiser, celle d’Hitler et celle de son double Adolf H, le clochard autrichien devenu tribun politique allemand et le peintre surréaliste, jouisseur altruiste. Au fil des pages, nous partageons les pensées et les rencontres de ces deux personnages, deux mêmes faces d’un miroir déformant,  auxquelles, étrangement et singulièrement, nous parvenons à nous identifier. Finalement, Hitler aurait pu être un autre.

 

Hitler versus Dorian Grey

 

Mais sans Hitler, sans l’antisémitisme allemand, sans les camps de concentration, quelle Histoire pourrions-nous apprendre? Quel monde imaginer ? Aurions-nous vu une seconde Guerre mondiale ? Un État d’Israël ? Une bombe atomique ? Prudent, l'auteur nous offre une autre Histoire, toujours en miroir de la réalité. On aurait pu lui reprocher de n'avoir pas donner plus de détails sur ce monde fantasmatique. Mais ce serait trop vite oublier que ce roman est avant tout l'expression de nos  fantasmes et de notre propre peur. 
Au-delà du personnage d’Hitler, c’est en effet le lecteur qu’Eric-Emmanuel Schmitt dépeint. Semblables à Dorian Grey, nous n’acceptons pas de contempler notre image telle qu'elle est, de percevoir notre humanité autrement que sous une belle apparence. Alors, quand, enfin, nous nous voyons, à nu, nous cessons d’exister. Heureusement pour nous, il ne s’agit que d’un livre… 

Édition le Livre de Poche - 503 pages - août 2012 - 1ère publication: septembre 2003