Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.
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jeudi 7 février 2013

L'agonie des quotidiens nationaux: Presstalis contre Copernic

Le Monde et une douzaine d'autres quotidiens nationaux ont boudé les kiosques, ce mercredi 6 févier 2013, faute de distributeurs. Les éditeurs ont renoncé à leurs diffusions suite à un appel à la grève, lancé par les salariés de Presstalis, « leader » français de la distribution de la presse. Le nouveau plan de restructuration de la société, qui prévoit la suppression de 1250 postes sur les 2500 que compte actuellement l’entreprise, fait l'objet du conflit. Parmi les revendications salariales figure la renégociation de l’accord, conclu le 4 octobre 2012 entre Presstalis, les éditeurs et l’État. Qualifié de "rafistolage" et accusé de "démanteler Presstalis", cet accord vise à redresser les comptes de la société au bord du dépôt de bilan depuis 2010. 

Le blocage des titres nationaux constitue le moyen de pression privilégié des grévistes, qui cherchent à faire entendre leurs voix et à réaffirmer le sens de leur travail dans un monde en pleine transition numérique. C’est empreint de cet espoir que Marc Norguez, secrétaire général du syndicat du livre et de la communication écrite (SGLC-CGT), plaide le 22 décembre 2012 « pour une refondation de la diffusion des journaux» dans Le Monde. Mais ils sont peu nombreux à s'être émus de la disparition d'une partie des quotidiens nationaux. Et pour la première fois, plusieurs journalistes dénoncent cette grève et n'hésitent pas à évoquer la mort de la presse papier face à la révolution numérique.

 

Une « funeste » révolution ?

 

           Sur Libération.fr, Nicolas Demorand, directeur du journal, écrit un éditorial à la plume acérée où il affirme : « les ouvriers du livre, en tout cas ceux qui ont décidé d'aller à la politique du pire, pensent qu'en mourant ensemble nous vivrons plus longtemps. Funeste erreur [...] les internautes ne sauront même pas que la distribution de leur journal préféré a été perturbée dans le monde réel. Peut-être est-ce là la préfiguration de l'avenir." Comme pour lui donner raison, les quotidiens n’évoquent pas ou très peu la disparition de leur édition papier du jour sur leurs sites internet. Aucun n’en fait la Une et d'ailleurs, la version numérique du journal est disponible sur la toile. Seul le dessin de Plantu laisse deviner le ressenti des journalistes vis-à-vis de la grève, vécue comme une auto-mutilation.

        A la radio, tout juste peut-on entendre Pascal Clark, qui regrette avec amertume ses journaux papiers: « Bonjour tristesse ! Oui je sais il y a les « fr », il y les « com », il y a le point numérique sur internet, un point c’est tout, mais moi je m’en fous. Je veux des mains sales, je veux des pages qui se tournent et se froissent, je veux des mises en pages, je veux des brèves et il n’y a pas de brèves dans le monde numérique ! » (« Comme on nous parle », 06 février 2013). 

  Lancés autrefois en réaction à des menaces extérieures – la perte du monopole des petites annonces, le détournement du marché de la publicité, l’arrivée des journaux gratuits etc. – les grèves du secteur de la presse se sont transformés en une lutte interne. Les métiers de la presse papier subiraient t-ils le même sort que les anciens carrossiers de Paris du début du siècle dernier, supplantés par les taxis aux benzol et à l'essence ?

Une révolution « copernicienne »

            Au même titre que la vision du monde de Copernic a fait extrêmement peur à la société du XVIème siècle,  l’arrivée du numérique ne provoque pas moins de troubles et d’anxiété au XXIème. Celle-ci est d’autant plus forte que la presse en ligne et ses acteurs se consolident. Le 1er février 2012, un accord a été trouvé entre Google et la presse française pour la création d'un fond propre à hauteur de 60 millions d’euros destiné « à la presse d’information politique et générale » en ligne. Jusqu’ici, les aides provenaient seulement de l’État et bénéficiaient, contrairement aux autres pays de l’OCDE, d’un cadre extrêmement réglementé. Avec ce nouvel accord, le géant américain devrait permettre à la presse française de réussir « la transition numérique » et apporterait de fait son aide aux éditeurs, notamment en ce qui concerne la publicité en ligne.  En pleine croissance, le multimédia, les nouvelles technologies, tablettes, Smartphones, Ipad etc. et leurs applications rendent ainsi possible une nouvelle approche de l’information, plus spontanée, plus proche mais aussi plus rapide que la lecture du traditionnel quotidien national. 

           Ce changement dans notre perception de l'information  n'a pas eu que des effets internes au monde journalistique mais s'est étendu aux frontières même de notre société. L'émergence d'un conflit de génération (révélé par la catégorisation des générations en x ou en y) en est l'une conséquences majeurs. Les plus favorisés par ce changement sont ceux qui maîtrisent l’outil numérique et donc, principalement, les moins de 30 ans. Premiers bénéficiaire d’internet, ils sont également la nouvelle cible des médias qui n’hésitent pas à modifier leurs contenus pour les atteindre. La presse audiovisuelle notamment, à l’exemple d’ARTE, cherche à rajeunir ses téléspectateurs traditionnellement âgés de plus de 35 ans. Ainsi la création de multiples plateformes numériques dont ARTE Creative en 2011 et la mise en place d’une soirée spéciale consacrée aux jeunes permet à la chaine de redéfinir sa place dans le marché audiovisuel et numérique. Mais, derrière ces bouleversements, c’est l’ensemble des rédactions qui déplorent la perte des effectifs et souhaitent un retour en arrière.

Face à cette situation, il revient aux nouvelles générations de s’engager à contrôler ce flux d’information et à responsabiliser l'outil internet. Pour cela, il faudrait, d’une part, rendre obligatoire la maîtrise de la toile et démocratiser les produits des nouvelles technologies afin que la fracture numérique ne reflète pas la fracture sociale. D’autre part, il reviendra à la nouvelle génération d'exiger une presse en ligne de qualité, élément indispensable afin que personne n’ait envie de brûler ce nouveau Copernic, qui change peu à peu notre vision du monde et de la démocratie




FOCUS sur : le système de distribution en France
La loi du 2 avril 1947, réglementant la vente de journaux au numéro, stipule que « Toute entreprise de presse est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenable ». La plus grande entreprise de distribution de la presse en France, Presstalis, propriété de Lagardère jusqu’en 2010, est détenue à 100% par deux coopératives, celle des quotidiens et celle des magazines. 

Dans ce contexte, contrairement à l’Allemagne où la presse « suprarégionale » résiste au numérique, la France souffre d’un marché de la distribution très réduit. Les points de ventes de journaux y sont quatre fois moins nombreux que de l’autre côté du Rhin. De même, la vente par abonnement qui permet aux quotidiens allemands de continuer à avoir une clientèle fidèle n’est pas systématisée en France et n’est pas organisée par la loi.  

mardi 29 janvier 2013

Un sondage, plusieurs lectures

Jeudi dernier, le journal Le Monde publiait un sondage réalisé avec l'IPSOS, le Cevipof et la fondation Jean Jaurès sur les fractures de la sociétés française. Parmi toutes les données du sondage, c'est la défiance envers la religion musulmane qui a le plus retenu l'attention. Mais il y a toujours plusieurs façon d'interpréter une enquête d'opinion.


Le sondage en question le voici (la partie ayant le plus intéressé les médias se résumant aux deux premiers graphiques) :



Naturellement, on a déduit de ce sondage que la société française rejetait l'islam, ou tout du moins qu'elle la jugeait beaucoup moins tolérante et beaucoup moins compatible avec les valeurs de la République que les deux autres religions évoquées, la religion catholique et la religion juive. Les représentants du Front National comme certains de l'UMP se sont d'ailleurs fendus d'un "on vous l'avait bien dit", constatant par là que les Français sont en accord avec les idées qu'ils prônent. Comment critiquer cette lecture? Après tout c'est bien ce que dit ce sondage.

C'est vrai. C'est bel et bien ce que dit ce sondage. Cependant, une autre lecture de ces résultats est également possible. A rebours de ce que nous disent certains responsables politiques sur l'invasion des étrangers et des plus particulièrement des musulmans, je constate que la France reste dans son immense majorité catholique. Voilà ce qui me frappe moi. Attention, loin de moi l'idée de dire que la France est chrétienne par nature ("France fille aînée de l'Église") comme on l'a entendu parfois. Ce serait ignorer qu'avant d'être chrétienne, la France a été polythéiste et païenne. Les Francs sont d'ailleurs à l'origine un peuple païen. Mais effectivement la religion chrétienne s'est par la suite développée en Europe et s'y est installée (en écrasant les autres croyances). Passons sur ce petit cours d'histoire. Ce qui ressort de ce sondage c'est que la France est encore largement chrétienne. Séchez vos larmes, l'invasion n'est pas encore pour tout de suite.

Cela mérite quelques explications. Ce sondage n'a en fait pas beaucoup de sens. Pour simplifier en employant une métaphore triviale, cela revient à demander à des Marseillais quelle équipe de football ils trouvent la plus forte entre l'OM, le PSG et l'Olympique Lyonnais. Prenez ce même sondage, allez le faire dans un pays musulman et vous obtiendrez les résultats inverses. Et il y a tout à parier que si le sondage avait été réalisé en Israël, la religion juive aurait été désignée la plus tolérante. Pour que ce sondage ait un petit sens il n'aurait fallu interroger que des athées, et encore! En l'état, il nous offre principalement un tableau des principales composantes de la société française en matière de religion.


On peut en effet supposer, mais ce n'est là que mon avis personnel, que la religion catholique n'est pas plus tolérante que ses deux consoeurs. Un coup d'oeil dans le rétroviseur historique permet de s'en convaincre. Il suffit de se pencher sur la Saint Barthélémy ou sur les croisades (à la fois contre les "infidèles" en terre sainte, et à la fois contre les dissidents hérétiques en France même (les Cathares pour ne citer qu'eux)) pour admettre que la religion catholique a son lot d'intolérances. Il faut bien voir que son statut en France a changé au cours des derniers siècles. Elle n'est plus religion d'Etat, elle est reléguée dans la sphère privée, les croyants se font de moins en moins nombreux. Mais attention je parle des vrais croyants, pas ceux qui se rendent à l'église une fois par semaine. Je parle de ceux pour qui l'excommunication signifiait la mort, de ceux qui étaient prêt à aller mourir en terre sainte parce qu'on leur promettait la rémission de leurs pêchés, de ceux qui devaient payer des impôts à l'Église, de ceux dont la vie toute entière tournait autour de leur paroisse. Cette emprise de la religion chrétienne a disparu en France. Il est fini le temps où le seigneur et le prêtre étaient les seuls repères des habitants. En Israël, la religion juive a suivi à peu près la même évolution, même si le pays reste par nature un État juif. Mais en ce qui concerne l'Islam, il reste des régions, voire des pays où la religion règle encore tout, où elle a encore le pouvoir qu'avait la religion chrétienne au Moyen-Âge, d'où son "intolérance". Seulement ce serait une erreur d'en déduire qu'elle est moins tolérante que ses soeurs. La religion catholique a évoluée, mais redonnez lui le pouvoir qu'elle avait sur la société aux temps des croisades et il n'est pas exclu que l'intolérance la plus flagrante revienne.

On nous a déjà parlé du caractère humaniste et bienfaisant de la religion catholique. C'est entièrement vrai. Mais c'est le cas aussi dans la religion juive, dans la religion musulmane aussi, et dans d'autres religions, et chez les athées... En fait il s'agit de quelque chose propre aux hommes. Cela prend simplement des formes différentes selon les cas.

vendredi 25 janvier 2013

Parlons de tout sauf des gays! Le point de vue d'une étudiante en communication


Quelle stratégie de communication adopter pour un sujet comme le mariage gay, porteur d’oppositions aussi fortes ? Le gouvernement Ayrault a choisi de s’inscrire dans une tradition socialiste s’appuyant sur les valeurs d’égalité et de liberté. Ainsi a été lancé le projet d’ouverture du mariage aux couples gay, rebaptisé opportunément: « mariage pour tous ».


Une communication gouvernementale tout en subtilité et en sous-entendus pour un sujet potentiellement explosif


Toute la communication du gouvernement s’articule donc autour de cette notion phare d’égalité. Ainsi David Assouline, porte-parole du Parti Socialiste, déclare à propos de la manifestation contre le mariage pour tous : «une manifestation pour empêcher certains d'avoir les mêmes droits, c'est très rare, seule la droite sait faire ça !» tandis que Christina Taubira met en avant l’égalité des droits pour tous les citoyens quelle que soit leur origine sociale, ethnique… et quelle que soit leur orientation sexuelle ! En parlant de « citoyens », elle veut faire passer l’orientation sexuelle au second plan du débat. D’ailleurs le projet de loi, c’est celui du « mariage pour tous » et non celui du « mariage gay ». Mariage pour tous cela pourrait tous aussi bien vouloir dire mariage pour les jeunes, les vieux, les étrangers, les chômeurs. C’est une manière implicite de faire comprendre que de ne pas accorder le mariage aux homosexuels est aussi absurde que de ne pas l’accorder aux chômeurs par exemple ! Bon moyen de dénoncer en creux les discriminations liées à l’orientation sexuelle. Belle ambigüité aussi car si on pousse la logique au maximum, « mariage pour tous » cela peut aussi vouloir dire mariage avec son frère ou sa sœur, ce qui renvoit  à un des plus grands tabous de notre civilisation : l’inceste !

Derrière la formule « mariage pour tous » se cache donc une habilité communicationnelle mettant en avant des aspérités positives (la notion consensuelle d’égalité) et gommant les aspects qui pourraient faire polémique. La formule est facilement mémorisable, simple et compréhensible : tous les ingrédients d’un bon slogan. Mais cela suffit-il à faire adhérer tous les citoyens à ce projet de loi ?

Provoc + humour = médiatisation forte


Face à cela les opposants au mariage gay auraient pu mettre en avant une porte parole conservatrice, droite dans ses bottes, à la vertu jamais remise en cause. Eh bien non ! En communication il faut frapper là où personne ne vous attend ! C’est donc l’humoriste Frigide Barjot, à l’image fofolle de femme libérée - en réalité femme de droite engagée dès les années 80 au RPR et catholique convaincue - qui deviendra l’égérie du mouvement de contestation. Pourquoi est-ce un très bon choix communicationnel ? D’abord parce que les paradoxes et le côté gentiment provocateur d’une femme comme Frigide Barjot (son nom annonce la couleur), c’est une exposition médiatique assurée. Et en effet, la porte parole est invitée sur tous les plateaux de télévision et de radio. Le « buzz » est lancé et le mouvement peut alors monter en puissance. Ensuite parce que pour fédérer des militants très diversifiés il faut une égérie non conventionnelle. Frigide Barjot touche à la fois les jeunes, grâce à son côté fêtard, les cinquantenaires, les catholiques, les non-croyants. De plus, elle décomplexe les personnes modérées qui sont contre le mariage pour tous mais qui n’osent manifester de peur d’être perçus comme réactionnaires.

Grâce à son humour et à son franc parler, elle réussit à s’attirer la sympathie. Son look (on a pu souvent la voir avec une veste de jogging rose bonbon) lui donne une allure « cool » et surtout inoffensive. Très loin de l’image des militants radicaux de Civitas, Frigide Barjot apparait comme une femme moderne et ouverte d’esprit qui défend le droit des enfants. Son émotivité permet au public de s’identifier à elle, elle confie dans toutes les interviews : « J’ai énormément souffert du divorce de mes parents. Je crois que c’est l’un des ressorts de mon combat pour la famille ». Mais Frigide, pas si barjot que ça, a surtout compris que pour étendre le mouvement des « anti », il fallait dépolitiser et décléricaliser la revendication. Elle a de l’expérience puisqu’elle a travaillé plusieurs années dans l’agence de communication politique « Principes » qui géré la campagne de Jacques Chirac en 1995.

Une recette vieille comme le monde


Prendre pour figure de proue une femme afin d’adoucir des idées qui pourraient paraitre trop d’extrême droite. Une certaine Marine Le Pen a appliqué la même recette … Mais il ne faut pas s’arrêter à l’allure légère de Frigide Barjot chantant « Fais-moi l’amour avec les deux doigts ».  En réalité, pas si ouverte que cela sur les sujets de société, elle milite contre l’avortement, contre l’euthanasie, contre le mariage gay et contre l’assistance médicale à la procréation (PMA) y compris pour les couples hétérosexuels. La communication ne peut travestir la réalité bien longtemps...


par A.A., étudiante en communication.

lundi 14 janvier 2013

Le mariage pour tous, première partie : de l'histoire et des notions


En matière de mariage pour tous, les positions de chacun sont pour le moins complexes et diverses. Il y a les homosexuels favorables au mariage, les homosexuels qui sont contre, les hétéro qui sont pour, les hétéro qui sont contre. Il y a ceux qui sont homophobes, il y a ceux qui n'ont rien contre les homos mais qui sont contre le mariage. Il y a ceux qui sont pour le mariage et pour l'adoption et pour la procréation médicalement assistée, il y a ceux qui sont pour le mariage et l'adoption mais pas la PMA, il y a ceux qui sont pour le mariage mais contre l'adoption. Et il y a aussi ceux qui n'en ont rien à faire, il ne faudrait pas les oublier. Bref, il faut de tout pour faire un monde, et tout ce petit monde est en ébullition.




Perspective historique - sauvegarder l'ordre


La France est divisée sur la question du mariage pour tous. Mais pense-t-on que cette division est nouvelle? Si oui, on fait fausse route. Les débats qui agitent actuellement notre société ne datent pas d'hier. Il s'agit en fait d'un éternel recommencement.

Sans remonter aux calanques grecques, je voudrais néanmoins m'arrêter sur une date importante du 19ème siècle: le 27 juillet 1884. Ce jour là, la loi Naquet rétablit le divorce en France, du moins en partie. Le divorce par consentement mutuel n'est pas reconnu (il faudra attendre 1975), seul l'est le divorce pour faute. Cette année là, et les années qui précèdent, les débats sont âpres entre les opposants et les partisans du divorce. Et déjà, il y a 129 ans, on retrouve les mêmes arguments que ceux développés aujourd'hui. La logique est en effet la même. Je vous propose ici des extraits des débats à la chambre des députés le 6 mai 1882:

Monsieur le député des Deux-Sèvres, Henri Giraud : "Messieurs, le divorce que vous demandez aura des conséquences déplorables. Il jettera le trouble dans les ménages, le trouble dans la société ; il attente au bonheur des époux, au bonheur des familles, au bonheur des enfants. Et par conséquent il faudrait quelque chose de très grave, un besoin impérieux, une exigence extrême de ceux que nous représentons ici, pour que nous rétablissions un pareil principe, quand depuis si longtemps l'usage en est aboli. Il faut craindre aussi, messieurs, que le divorce ne provoque l'adultère dans certains ménages (...)".

Un peu plus tôt, ce même député disait également ceci  : "Maintenant, voulez-vous arrêter votre attention sur le sort des enfants? (...) Je voulais, l'autre jour, établir un arbre généalogique afin de me rendre compte de ce que serait la situation des enfants nés de plusieurs mariages successifs, et j'ai trouvé que c'était inextricable. Tout ce que je sais, c'est qu'avec le divorce la situation des enfants sera cent fois pire que sous le régime de la séparation des corps qui est aujourd'hui notre loi. Les enfants auront beaucoup à souffrir, physiquement et moralement."

On retrouve déjà ici les principaux thèmes abordés par les opposants au mariage pour tous : le modèle de la famille en péril, la décadence de la société, le danger pour les enfants, la réforme non réclamée par la population. De fait, ce débat sur le divorce en 1882 et le débat actuel sur le mariage gay se prête magnifiquement bien à une application de la thèse développée par Albert Hirschman dans son livre Deux siècles de rhétorique réactionnaire. L'auteur a ainsi repéré trois figures rhétoriques qui servent de base à toute argumentation réactionnaire (dans le sens de réaction à un progrès, ou à une avancée présentée comme tel) :

- L'effet pervers : qui consiste à dire que les effets non voulus de la réformes seront pires ou à l'opposé des bienfaits escomptés. Dans le cas du divorce c'est la multiplication des adultères, l'augmentation de l'inégalité entre l'homme et la femme.
- L'inanité : qui consiste à dire que la réforme ne changera rien. Dans le cas du divorce, c'est le fait de dire que le mariage est une règle naturelle au dessus de la loi et que de toute façon la population ne demande pas le divorce.
- La mise en péril : ici le terme parle de lui-même. Mise en péril de la famille, de la société, des acquis durement obtenus.

Et cela s'applique aujourd'hui au mariage pour tous (essayez, vous verrez) ainsi qu'à tous les combats qui ont jalonné le chemin entre 1884 et nos jours pour la conservation de l'ordre. Car voilà bien ce qui réunit les opposants au divorce en 1884, les opposants à la pilule en 1966, à l'IVG en 1974, au divorce par consentement mutuel en 1975, au PACS en 1999 et les opposants au mariage pour tous en 2013. Ces derniers sont les héritiers d'une tradition politique qui place l'ordre et son maintien au centre de l'argumentation. Il peut s'agir de l'ordre politique, de l'ordre social, de l'ordre moral, de l'ordre familial ou encore de l'ordre religieux. Ce n'est pas une tare en soi, simplement un constat.

Pour en finir avec ma rétrospective historique, du côté des partisans du divorce, on mettait déjà en avant le principe de l'égalité et de la liberté. Tout comme aujourd'hui. Rien de nouveau sous le soleil donc.



Le mariage en question


Et il y a tellement peu de nouveauté qu'aujourd'hui encore, la principale problématique qui sous-tend toutes les autres, c'est celle de la définition du mariage. Il semble que la division se joue d'abord là-dessus, car le mariage n'est pas compris par tout le monde de la même façon. Je vais me permettre de citer une dernière fois la séance parlementaire du 8 mai 1882, un opposant au divorce prend la parole :

"Il [le rapporteur] vous a montré les sociétés humaines se développant, grandissant, s'étendant, s'épurant par les vertus de la famille ; il vous a montré l'homme, retenu au début dans des liens grossiers, se dégageant peu à peu, par étapes successives à travers les âges de progrès, de la polygamie, pour se renfermer, par ses propres lois, dans le mariage indissoluble. (...) Pourquoi l'honorable rapporteur vient-il en même temps vous dire qu'il faut redescendre le cours du progrès?"

Tout est là. En 1884 comme aujourd'hui, pour une partie de la société, le mariage est l'aboutissement d'une société évoluée, un âge d'or naturel qui voit s'unir un homme et une femme dans le but de fonder une famille indissoluble. C'est bien là que réside le problème. Après plusieurs heures de débat, il résulte que bon nombre d'opposants au mariage pour tous, l'amour n'a rien à voir avec le mariage. Ou tout du moins, ce n'est pas ce qui est le plus important. Le plus important c'est la fondation d'une famille, le mariage étant lié directement à la procréation. Cela se tient, rappelons que pour les puristes, l'acte sexuel ne peut avoir lieu que dans le cadre du mariage, et pour les plus puristes encore, l'acte sexuel n'est alors pas protégé car il a pour but la conception de l'enfant. Voilà sur quel modèle se fondent une partie des opposants au mariage pour tous, le modèle du mariage comme prélude à la famille, le mariage comme engagement indissoluble d'un homme et d'une femme. Dans ce système de pensée, le mariage homosexuel est en effet une aberration, car c'est une union non fertile et non naturelle, qui peut être acceptée, mais non dans le cadre institutionnel du mariage. La Grèce antique est d'ailleurs souvent prise en exemple : l'amour entre homme y est banal et répandu, mais lorsqu'il s'agit d'une mariage, c'est toujours un homme et une femme, car l'objectif encore une fois reste la procréation. Cette partie de la société distingue donc en quelque sorte famille et amour.

Oui mais voilà, la définition du mariage a évolué. De nos jours, l'amour dans le mariage est mis en avant. On se marrie de moins en moins par devoir. Rappelons qu'il n'y a pas si longtemps, les époux et épouses étaient choisis par les parents, et un garçon mettant, accidentellement ou non, une fille enceinte était tenu de l'épouser. Cela est aujourd'hui marginal. L'amour comme raison du mariage est communément admise, même chez les couples précédemment cités cherchant à fonder une famille. Cela tient à l'évolution progressive de la société. Le divorce a mis fin au mariage définitif, la contraception et l'avortement ont permis aux hommes comme aux femmes de gérer leur désir ou non d'enfant. Le résultat de ceci c'est une diversification du mariage. Aujourd'hui on peut se marier sans avoir d'enfant par la suite, on peut faire des enfants hors mariage, on peut se marier, divorcer, se remarier, et fonder plusieurs familles, on peut se marier pour institutionnaliser l'amour, ou bien même se marier uniquement pour les avantages que cela offre en terme de droits et de fiscalité. Les combinaisons sont multiples. On peut même ne pas vouloir se marier. C'était la tendance à la mode chez les jeunes dans les années 1970, où l'institution du mariage était en partie rejetée, au nom de la liberté. A ce titre, il est intéressant de noter ce basculement en quelques dizaines d'année puisqu'en 2013 tout le monde semble revendiquer le droit au mariage, ou en tout cas à son mariage.

Ainsi, du côté des partisans du mariage pour tous, c'est l'amour qui prime, ainsi que le droit pour deux hommes ou deux femmes d'être en couple et de fonder une famille. Là aussi l'évolution de la société a bien aidé. La frontière entre masculinité et féminité, ou plutôt entre paternité et maternité est beaucoup moins tranchée. Certaines pancartes vues dans les manifestations du 13 janvier 2013 à Paris résument bien les  positions traditionnelles de l'homme et de la femme dans le couple, un peu clichées, qui tendent à disparaître si ce n'est pas déjà fait. On a pu lire par exemple "une mère pour la tendresse, un père pour la discipline". L'image du père autoritaire, chef de famille, et de la mère tendre et délicate, ne recouvre plus guère une vérité générale. On peut être un homme sans être autoritaire, on peut être un homme et être une fée du logis, comme on peut être une femme sans être particulièrement tendre ou habile dans les tâches ménagères. Les combats féministes n'ont à ce titre jamais cessé de réclamer la fin des discriminations et l'égalité homme/femme. Le clivage se situe là, entre ceux qui pensent que les rôles de l'homme et de la femme dans le couple ne sont pas interchangeables, et ceux qui pensent au contraire qu'un homme peut très bien assurer le rôle traditionnellement dévolu à une mère et vice versa. Entre égalité et complémentarité. Simple arithmétique : si la femme est l'égale de l'homme, alors la réciproque est vraie et l'un peut bien se substituer à l'autre, par exemple dans la famille. Ou alors on déclare la femme complémentaire de l'homme et l'on voit bien les réactions qu'il y a eu en Tunisie en août 2012 lorsque la nouvelle constitution prévoyait d'employer cette expression...

Le débat actuel prendrait donc ses racines dans la définition même du mariage et de la famille. Des logiques différentes sont à l'œuvre dans chaque camp et ces logiques sont les fondements sur lesquels s'établissent les autres antagonismes. Tout part de là, que ce soit la question des enfants en général, de l'adoption ou encore de la procréation médicalement assistée.

vendredi 14 décembre 2012

L'histoire au lycée

Le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a décidé de réintroduire l'histoire en terminale S. Cette décision, si elle doit être saluée, ne règle cependant pas tous les problèmes auxquels est confronté l'enseignement de l'histoire au collège et au lycée.



Des programmes mal conçus?


Le premier souci concerne les programmes eux-mêmes. Pour être plus clairs et précis, nous examinerons plus en détail le cas de la classe de première, une année déterminante puisque c'est dans cette classe que les élèves sont censés apprendre les évènements majeurs du premier 20ème siècle. Voici le sommaire d'un manuel d'histoire de 1ère générale (séries S, L et ES confondues). 



Ce qui frappe et ce qui peut choquer ce n'est pas tant les thèmes abordés que l'ordre dans lequel ils sont abordés. Que l'on traite de la colonisation en dehors des autres évènements du 20ème siècle passe encore, c'est un thème que l'on peut voir un peu à part, pour peu que l'on ait déjà la chronologie principale en tête. Ce qui est dérangeant en revanche, c'est l'agencement des trois premiers thèmes. On est censés voir la croissance et la mondialisation depuis 1850 (soit un siècle et demi tout de même), avant tout le reste. Les révolutions industrielles sont traitées à part de la guerre, et les Trente Glorieuses sont étudiées avant la Seconde Guerre mondiale. Plus dérangeant encore, on est censés parler des guerres au 20ème siècle sans aborder les totalitarismes (qui ne sont étudiés que dans le chapitre d'après), voilà bien une aberration historique! Du coup, on étudie la guerre froide avant de s'être penché sur le communisme soviétique.

Bien sûr il ne s'agit que des manuels, et l'on peut espérer que les enseignants conservent une certaine logique chronologique dans leurs cours. Mais les manuels ne sont que le reflet des programmes officiels. Un professeur qui aborderait les totalitarismes avant la seconde guerre mondiale serait mal noté lors d'une inspection.

S'il y a une matière où la chronologie est primordiale c'est pourtant bien l'histoire. Attention, loin de moi l'idée d'insinuer que l'enseignement de l'histoire doive se contenter d'une suite de dates. Mais quand on étudie des phénomènes passés on ne peut pas dissocier hermétiquement des grands thèmes car tout est lié. Entre autres, ce serait ignorer le rôle de l'industrie dans la Première et Seconde Guerre mondiale, ce serait ignorer le poids de l'effort de reconstruction dans l'avènement des Trente Glorieuse, ce serait ignorer l'impact de la Seconde Guerre mondiale dans la décolonisation  que de procéder ainsi. En cloisonnant l'histoire en thèmes on se limite dans l'étude historique en laissant volontairement de côté des phénomènes qui pourraient expliquer telle ou telle situation. Et ce d'autant plus que le 20ème siècle est une période où tout se bouscule et se bouleverse à une très grande vitesse.

L'apprentissage par grands thèmes n'est pas en soi mauvais, il est simplement inadapté. Pour être plus précis, cela vaut surtout quand le public connaît déjà plus ou moins la période étudiée. Ce n'est pas vraiment le cas en première et terminale. Pour beaucoup d'élèves, c'est la première fois qu'ils sont confrontés à l'histoire de cette période que le collège n'a fait que survoler.

Tout ce que nous venons de dire concerne essentiellement les séries générales. La réintroduction de l'histoire en terminale S est en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt de l'éducation secondaire. Ainsi, quand on parle d'histoire on oublie systématiquement les séries techniques qui sont encore moins bien loties.


Quand on regarde le sommaire d'un manuel de 1ère technique on se rend compte tout d'abord qu'il est beaucoup plus réduit (deux pages au lieu de quatre pour les séries générales) et surtout beaucoup plus simplifié. Est-ce à dire que les élèves des séries techniques n'auraient pas droit à un enseignement historique un minimum approfondi? Ou bien qu'ils n'en auraient pas le niveau? On me répondra assurément qu'il s'agit là des séries techniques, dans lesquelles l'histoire est plus qu'accessoire, voire anecdotique pour un public pour partie en échec scolaire au collège, et souhaitant surtout apprendre un métier. On touche là à un des problèmes du système éducatif français que je me permettrais d'aborder sans trop le développer. Nous sommes dans un système où les séries générales dominent toutes les autres en terme de prestige. Les élèves en échec scolaire au collège sont souvent redirigés vers des séries plus professionnalisantes. Cela signifie, schématiquement, que l'on va orienter un élève qui a des difficultés vers une filière où rien ne lui sera offert pour corriger ces difficultés. Bonjour l'égalité des chances. D'autre part, il est difficile de voir comment les filières techniques pourraient avoir autant de prestige que les filières générales tant que l'on continue à les associer à des formations "intellectuelles" beaucoup plus superficielles, et ce même si le volume horaire est moindre.


Un nombre d'heures insuffisant?


Et parler du volume horaire me permet d'aborder le second problème auquel est confronté l'enseignement de l'histoire. Vous l'aurez compris, il s'agit du nombre d'heures. Il ne faut en effet pas être dupe de la volonté du ministre de l'éducation Nationale de réintroduire l'histoire en terminale S. Si l'on suit les modalités de ce changement, les élèves de 1ère S qui ont aujourd'hui quatre heure de cours d'histoire par semaine n'en auront plus que deux heures et demi. Moyennant quoi, en terminale, deux heures d'histoire par semaine sont réintroduites. Le gain est d'alors une demi heure par semaine. Cela relève plus de l'étalage que d'une réelle augmentation ou réintroduction de l'histoire. Il n'y a pas si longtemps, cinq ans exactement, il y avait trois heures d'histoire en terminale S, et le même nombre en première, soit un total de six heures hebdomadaires sur les deux années. Et si ce total est plus important dans les séries ES et L, il ne faudrait pas oublier que ces fameuses heures dont nous parlons doivent également être consacrée à la géographie et à l'éducation civique, de quoi fausser les calculs.
Cette question du volume d'heure n'est pas anodine. Si le nombre d'heures de cours d'histoire stagne ou diminue, le volume historique lui ne cesse de s'accroître, à la fois parce que le temps passe et parce que les recherches historiques se poursuivent, introduisant de nouvelles façon d'aborder l'histoire en générale ou une période en particulier. Oui le volume horaire est directement lié au débat actuel qui consiste à savoir quelle histoire on doit enseigner aux élèves et comment on doit le faire. D'ailleurs pourquoi y a-t-il débat? Pourquoi y a-t-il division? Tout simplement parce que si l'on introduit une nouvelle façon de voir les choses, de nouveaux thèmes, de nouvelles périodes, et bien on doit en retirer d'autres, faute de temps pour tout faire. En résultent des programmes toujours en partie lacunaires et/ou bricolés qui s'attardent volontiers sur la nécessaire histoire de France sans avoir la possibilité de dépasser. A quand des cours d'histoire optionnels sur l'histoire de l'Asie féodale? Sur l'histoire des dynasties ottomanes? Sur l'histoire des États-Unis et de l'Amérique? L'histoire s'étoffe, les heures de cours se raréfient, du coup on survole. Rappelons que le programme de 1ère S s'étend de 1850 à nos jours. Presque deux siècles (et quels siècles!) en une année, c'est à dire trois trimestres (9 mois), 2 heures par semaines (n'oublions pas que les heures sont réparties entre l'histoire et la géographie).


Le niveau en question?


Ici se pose une nouvelle question : est-ce l'histoire au lycée qui n'est que survolée, ou est-ce le niveau en histoire dans l'enseignement supérieur qui est trop élevé? Quelle que soit la réponse, on peut en tout cas noter un certain écart encore le niveau demandé au baccalauréat, et le niveau demandé par exemple au concours d'entrée à bac+0 de l'école parisienne post-bac la plus en vogue en ce moment, à savoir Sciences Po. Le concours d'entrée à bac+0, comme son nom l'indique s'adresse aux lycéens tout juste sortis du baccalauréat dont les épreuves se déroulent à peine quelques semaines avant. Et pourtant...

Nous avons retrouvé les sujets du baccalauréat 2012 en histoire, nous avons retenu les sujets de dissertation :

Série S (terminale):  - la décolonisation de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1960
- la Ve République : institutions et vie politique
Série S (première, épreuve anticipée) : - La guerre d'Algérie
- La mutation de la population active en France de 1850 à nos jours
Séries ES et L : - L'Europe dans la guerre froide (1947-1989)
- La Ve République : institutions et vie politique

Puis, pour comparer, nous avons retrouvé les sujets d'histoire posés à Sciences Po cette même année 2012 au concours d'entrée à bac+0 :

- L'âge industriel aux Etats-Unis de la seconde moitié du XIXème siècle à la Seconde Guerre mondiale
- Le premier ministre dans les institutions et la vie politique de la France depuis le début de la Ve République
- Les relations entre la France et l'Allemagne de 1945 à nos jours.

Quiconque analyserait un peu ces sujets se rendrait compte que le niveau demandé à Sciences Po est beaucoup plus élevé (car les sujets sont plus précis, spécifiques et demandent des connaissances supplémentaires) qu'au Baccalauréat. Alors, est-ce le niveau au bac en histoire qui est trop faible? Est-ce le niveau à Sciences Po qui est trop élevé intentionnellement, afin de sélectionner les meilleurs? Sûrement un peu des deux. Une chose est sûre, ceux qui pourront réussir l'épreuve d'histoire de Sciences Po à bac+0 seront soit ceux ayant un grand intérêt pour l'histoire cultivé régulièrement, soit les très bons élèves, soit ceux ayant pu se payer une préparation privée lors de l'année de terminale. Ne parlons même pas des terminales STG qui n'ont même pas de dissertation au baccalauréat et qui, par la force des choses, n'ont même pas l'espoir de pouvoir postuler pour une école comme Sciences Po ou une autre du même acabit.

Pour conclure, si le rétablissement de l'histoire-géographie en terminale S annoncé par Vincent Peillon est un bon signal, la matière n'est cependant pas au bout de ses peines.



dimanche 2 décembre 2012

Israël vs Palestine : des chiffres et des lettres

Et si 1 était égal à 30 ? Dans la guerre fratricide entre la Palestine et Israël, les chiffres perdent de leurs sens, tandis que les mots, eux, étrangement, nous parlent.


"Une réponse proportionnée". Voici ce qu'a demandé, le 16 novembre 2012, l'Union Européenne à Israël, qui poursuivait son offensive contre la bande de Gaza. Aujourd’hui, le bilan de l'attaque s’élève à 174 morts du côté palestinien contre 6 morts du côté israélien. En toute proportionnalité, cela revient à dire qu’un israélien équivaut à 29 palestiniens. Au-delà des questions fondamentales de la valeur d’une vie humaine, s’en pose une autre politique : était-ce le résultat escompté par l’Union Européenne? En somme, n'y a t-il pas eu d'erreur dans la pose de l'équation?

+ 65 ans
  
Par un fin calcul mathématique, les dirigeants pensent bien souvent pouvoir infléchir l’Histoire. C'est pourquoi, Il fallait un chiffre rond pour faire de la Palestine, neuf jours après une offensive meurtrière, un « État observateur non membre » de l’organisation des Nations-Unis. Le 29 novembre 2012 devait ainsi répondre au 29 novembre 1947, date à laquelle le plan de partage de la Palestine en deux états, juif et musulman, fut adopté par l’ONU. Après 65 années, quatre générations perdues, 51 000 morts, selon les estimations, dans les deux camps et 3000  logements de plus construits à Jérusalem-Est par Israël, quel sens peut-donc bien avoir la coïncidence de ces deux dates ? Aucun des protagonistes n’en ont l’usage. La Palestine est passée d’une entité à un « État » sans gagner le droit de voter au sein de l’ONU, tout juste a-t-elle la possibilité d’adhérer à certains traités internationaux. Israël garde, quant à elle, son allié indéfectible, les États-Unis, à laquelle elle confie unilatéralement, depuis les lois américaines des années 90, son propre destin. Les dates tout comme les chiffres ne semblent plus avoir de sens, alors pourquoi les utiliser ?  

Place aux mots

La présence des chiffres et l’absence d’utilisation des mots est une pathologie politique qui peut avoir deux sources. D’une part, les mots disparaissent devant une situation « inqualifiable » par peur de leurs impacts et les chiffres les remplacent. D'autre part, c’est la force de certains mots qui en fait oublier d'autres. Ainsi, les  termes de « Plomb durci » (2008), d’ « Éliminations ciblées » (2010), de « Pilier de défense » (2012), utilisés par l'État d’Israël pour désigner ses interventions à Gaza, portent en eux-mêmes une charge si forte que dire autre chose peut paraître impossible. Les mots peuvent également manquer, lorsqu’une situation politique empêche de formuler clairement une direction propre.  La métaphore mathématique de l’Union Européenne n’est alors que le symptôme d’un manque de politique étrangère commune, épinglé d’une formule diplomatique aussi floue que malheureuse.

Pour faire une place aux mots dans le calcul, rien n’est plus salutaire que l’étymologie pour retrouver du sens. A  la signification guerrière de Gaza, « forteresse » en arabe, à celle poétique de Tel-aviv, « colline artificielle sur un champ de ruine au printemps » répond celle de Jérusalem, ville fondée par Salem, lieu de paix. Les mots peuvent autant réunir que diviser. L’ « enthousiasme » du Hamas devra répondre un jour à l’ « ouverture » du Fatah pour fédérer l’ensemble disparate qu’est la Palestine et retrouver un visage uni entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Cela permettra peut être de réaliser un monde où les mots arriveront, un jour, à remplacer les roquettes…

lundi 19 novembre 2012

" La réponse est oui, mais quelle était la question?" [Woody Allen]


La NASA
Un orchestre
Narcisse
L'oenologie
Une coupole
La traite
Homeland
l'Espagne
Un encéphalogramme
Alain Poher
Les claquettes

Avouez, cette énumération vous laisse dubitatifs. Qu'est ce donc? Une liste de courses? Une liste à la Prévert? Une énigme? Un jeu d'association d'idées? Et bien non, rien de tout cela. Il s'agit en fait des premières réponses aux questions de l'émission "Questions pour un champion" du 16 novembre 2012, diffusée sur France 3. Oui mais voilà... Sans les questions qui vont avec, difficile de savoir de quoi l'on parle n'est ce pas?

Ceci, je le pense, peut et doit s'appliquer au journalisme, à la politique et a fortiori au journalisme politique. Trop souvent on nous présente uniquement les réponses des personnes interrogées, sans d'ailleurs savoir qu'il s'agit d'une réponse à une question. Et ces réponses, reprises en boucle, d'un média à un autre, tendent à devenir une déclaration à part entière plutôt qu'une réponse. "Pourquoi jouer sur les mots?" Me dirait-on, après tout c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Je ne le crois pas. Quand on sort une phrase de son contexte on loupe toujours quelque chose, on perd toujours un peu du sens.

Prenons un exemple pour mieux comprendre : celui des polémiques politiques. Un tel fait une déclaration, un autre réagit à ce propos, puis un autre, puis un autre, chacun donnant son avis, l'affaire gagnant l'ensemble de la sphère politique. Est-ce aussi simple? On oublie souvent, car cela est rarement mentionné, que les réactions sont souvent le fruit d'une question, par exemple : "Que pensez-vous des déclarations de Monsieur Untel?". Un premier problème surgit alors : l'homme politique aurait-il pris position de lui-même si on ne lui avait pas posé la question? Second problème, la question posée influe-t-elle sur la réponse donnée? Nous touchons du doigt ici une problématique qui n'est pas sans rappeler celle de l'œuf et de la poule : savons nous en effet si ce sont les politiques qui se servent des médias (à des fins politiques donc), ou si ce sont les médias qui se servent des politiques (pour rechercher le scoop ou faire le buzz)? Autrement dit, est-ce que le journaliste pousse l'homme politique à prendre position en posant sa question, ou est ce que l'homme politique se sert des médias comme tribune en feignant de répondre à une simple question? Et est-ce que la question posée importe peu, puisque l'homme politique veut avant tout faire passer un message devant la caméra, ou est-ce que le journaliste cherche à obtenir une réponse bien précise de l'homme politique en orientant sa question? C'est un débat qu'à mon sens nous ne sommes pas près de résoudre, car il y a certainement un peu des deux.



Nous pouvons tout de même affirmer que la question posée influe sur la réponse et qu'en cela il est impératif de la connaître pour être bien informé. Quiconque s'intéresse aux méthodes de sondage en conviendra, la question fait tout. Prenons l'exemple de la conférence de presse de François Hollande de mardi dernier, et du sondage BVA publié par le Parisien le surlendemain. Il est tout d'abord intéressant de noter que les questions posées dans ce sondage ne nous sont pas données, mais se déduisent à peu près des réponses. "Avez-vous trouvé François Hollande convaincant?". Voici une question pour le moins vague. Convaincant par rapport à quoi? Sur quel point? Et qu'est-ce que vous entendez par convaincant? Je vais exposer ici une hypothèse personnelle : Il me semble que plus une question sur un homme politique est vague ou au contraire plus elle est techniquement compliquée, alors plus elle revient à demander "Aimez-vous cet homme politique?", ce qui peut fausser largement l'interprétation des résultats. D'autre part, les instituts de sondage semblent en mesure de prévoir à peu de chose près quel type de réponse qu'ils pourront obtenir en posant telle ou telle question, et de choisir en fonction. Voilà qui illustre parfaitement les propos de Woody Allen dans le titre. Rappelez-vous il y a quelques mois quand Georges Papandréou, alors à la tête de la Grèce, voulait organiser dans son pays un référendum sur la sortie de crise proposée par l'Europe, référendum qui n'a finalement pas eu lieu. Tout le problème résidait alors dans la question que l'on allait (ou pas) poser aux Grecs. Schématiquement, allait-on leur demander "Etes-vous d'accord avec les mesures proposées par l'Europe pour sortir de la crise?" ou bien "Voulez-vous sortir de l'Europe?". Deux questions qui étaient liées car refuser les mesures de l'Europe c'était alors s'en détacher, mais l'on pressent bien que les réponses auraient été bien différentes en posant l'une ou l'autre de ces questions.

Tout cela pour dire que pour être bien informé, il faudrait dans l'idéal préciser partout que telle personne répondait à telle question quand elle a dit cela. Or cela passe bien trop souvent à la trappe. Parfois on trouve mentionné "interrogé sur tel sujet, Monsieur X a déclaré...", mais cela reste rare et encore vague. A ce titre, l'émission qui est, à mon sens, une des plus honnête à ce sujet reste Le Petit Journal de Canal+. Certains prétendent qu'ils ne font pas du journalisme, toujours est-il que lors de leurs micro trottoirs, on entend presque toujours la question qui est posée aux personnes à qui l'on tend le micro.

Mais pourquoi les questions posées ont-elles ainsi tendance à disparaître? On serait tenté de penser que cela vient de la multiplication des formats courts où l'on prétend aller à l'essentiel. L'essentiel, c'est-à-dire ce que disent les personnes interrogées. On peut penser également que le journaliste ne considère pas sa question digne d'intérêt, et que seule la réponse compte, et dans ce cas il aurait bien tort car il est des questions très pertinentes auxquelles on répond par de la langue de bois. Enfin pourrait penser au contraire que le journaliste n'estime pas devoir être jugé et/ou critiqué par l'opinion publique. Et encore une fois il aurait bien tort. Le public a le droit de considérer une déclaration d'un homme politique brillante ou complètement idiote, comme il a le droit de juger la question posée, brillante ou complètement idiote, c'est selon.

Pour conclure je dirais donc que la réponse est oui, mais quelle était la question déjà?