Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

vendredi 14 décembre 2012

L'histoire au lycée

Le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a décidé de réintroduire l'histoire en terminale S. Cette décision, si elle doit être saluée, ne règle cependant pas tous les problèmes auxquels est confronté l'enseignement de l'histoire au collège et au lycée.



Des programmes mal conçus?


Le premier souci concerne les programmes eux-mêmes. Pour être plus clairs et précis, nous examinerons plus en détail le cas de la classe de première, une année déterminante puisque c'est dans cette classe que les élèves sont censés apprendre les évènements majeurs du premier 20ème siècle. Voici le sommaire d'un manuel d'histoire de 1ère générale (séries S, L et ES confondues). 



Ce qui frappe et ce qui peut choquer ce n'est pas tant les thèmes abordés que l'ordre dans lequel ils sont abordés. Que l'on traite de la colonisation en dehors des autres évènements du 20ème siècle passe encore, c'est un thème que l'on peut voir un peu à part, pour peu que l'on ait déjà la chronologie principale en tête. Ce qui est dérangeant en revanche, c'est l'agencement des trois premiers thèmes. On est censés voir la croissance et la mondialisation depuis 1850 (soit un siècle et demi tout de même), avant tout le reste. Les révolutions industrielles sont traitées à part de la guerre, et les Trente Glorieuses sont étudiées avant la Seconde Guerre mondiale. Plus dérangeant encore, on est censés parler des guerres au 20ème siècle sans aborder les totalitarismes (qui ne sont étudiés que dans le chapitre d'après), voilà bien une aberration historique! Du coup, on étudie la guerre froide avant de s'être penché sur le communisme soviétique.

Bien sûr il ne s'agit que des manuels, et l'on peut espérer que les enseignants conservent une certaine logique chronologique dans leurs cours. Mais les manuels ne sont que le reflet des programmes officiels. Un professeur qui aborderait les totalitarismes avant la seconde guerre mondiale serait mal noté lors d'une inspection.

S'il y a une matière où la chronologie est primordiale c'est pourtant bien l'histoire. Attention, loin de moi l'idée d'insinuer que l'enseignement de l'histoire doive se contenter d'une suite de dates. Mais quand on étudie des phénomènes passés on ne peut pas dissocier hermétiquement des grands thèmes car tout est lié. Entre autres, ce serait ignorer le rôle de l'industrie dans la Première et Seconde Guerre mondiale, ce serait ignorer le poids de l'effort de reconstruction dans l'avènement des Trente Glorieuse, ce serait ignorer l'impact de la Seconde Guerre mondiale dans la décolonisation  que de procéder ainsi. En cloisonnant l'histoire en thèmes on se limite dans l'étude historique en laissant volontairement de côté des phénomènes qui pourraient expliquer telle ou telle situation. Et ce d'autant plus que le 20ème siècle est une période où tout se bouscule et se bouleverse à une très grande vitesse.

L'apprentissage par grands thèmes n'est pas en soi mauvais, il est simplement inadapté. Pour être plus précis, cela vaut surtout quand le public connaît déjà plus ou moins la période étudiée. Ce n'est pas vraiment le cas en première et terminale. Pour beaucoup d'élèves, c'est la première fois qu'ils sont confrontés à l'histoire de cette période que le collège n'a fait que survoler.

Tout ce que nous venons de dire concerne essentiellement les séries générales. La réintroduction de l'histoire en terminale S est en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt de l'éducation secondaire. Ainsi, quand on parle d'histoire on oublie systématiquement les séries techniques qui sont encore moins bien loties.


Quand on regarde le sommaire d'un manuel de 1ère technique on se rend compte tout d'abord qu'il est beaucoup plus réduit (deux pages au lieu de quatre pour les séries générales) et surtout beaucoup plus simplifié. Est-ce à dire que les élèves des séries techniques n'auraient pas droit à un enseignement historique un minimum approfondi? Ou bien qu'ils n'en auraient pas le niveau? On me répondra assurément qu'il s'agit là des séries techniques, dans lesquelles l'histoire est plus qu'accessoire, voire anecdotique pour un public pour partie en échec scolaire au collège, et souhaitant surtout apprendre un métier. On touche là à un des problèmes du système éducatif français que je me permettrais d'aborder sans trop le développer. Nous sommes dans un système où les séries générales dominent toutes les autres en terme de prestige. Les élèves en échec scolaire au collège sont souvent redirigés vers des séries plus professionnalisantes. Cela signifie, schématiquement, que l'on va orienter un élève qui a des difficultés vers une filière où rien ne lui sera offert pour corriger ces difficultés. Bonjour l'égalité des chances. D'autre part, il est difficile de voir comment les filières techniques pourraient avoir autant de prestige que les filières générales tant que l'on continue à les associer à des formations "intellectuelles" beaucoup plus superficielles, et ce même si le volume horaire est moindre.


Un nombre d'heures insuffisant?


Et parler du volume horaire me permet d'aborder le second problème auquel est confronté l'enseignement de l'histoire. Vous l'aurez compris, il s'agit du nombre d'heures. Il ne faut en effet pas être dupe de la volonté du ministre de l'éducation Nationale de réintroduire l'histoire en terminale S. Si l'on suit les modalités de ce changement, les élèves de 1ère S qui ont aujourd'hui quatre heure de cours d'histoire par semaine n'en auront plus que deux heures et demi. Moyennant quoi, en terminale, deux heures d'histoire par semaine sont réintroduites. Le gain est d'alors une demi heure par semaine. Cela relève plus de l'étalage que d'une réelle augmentation ou réintroduction de l'histoire. Il n'y a pas si longtemps, cinq ans exactement, il y avait trois heures d'histoire en terminale S, et le même nombre en première, soit un total de six heures hebdomadaires sur les deux années. Et si ce total est plus important dans les séries ES et L, il ne faudrait pas oublier que ces fameuses heures dont nous parlons doivent également être consacrée à la géographie et à l'éducation civique, de quoi fausser les calculs.
Cette question du volume d'heure n'est pas anodine. Si le nombre d'heures de cours d'histoire stagne ou diminue, le volume historique lui ne cesse de s'accroître, à la fois parce que le temps passe et parce que les recherches historiques se poursuivent, introduisant de nouvelles façon d'aborder l'histoire en générale ou une période en particulier. Oui le volume horaire est directement lié au débat actuel qui consiste à savoir quelle histoire on doit enseigner aux élèves et comment on doit le faire. D'ailleurs pourquoi y a-t-il débat? Pourquoi y a-t-il division? Tout simplement parce que si l'on introduit une nouvelle façon de voir les choses, de nouveaux thèmes, de nouvelles périodes, et bien on doit en retirer d'autres, faute de temps pour tout faire. En résultent des programmes toujours en partie lacunaires et/ou bricolés qui s'attardent volontiers sur la nécessaire histoire de France sans avoir la possibilité de dépasser. A quand des cours d'histoire optionnels sur l'histoire de l'Asie féodale? Sur l'histoire des dynasties ottomanes? Sur l'histoire des États-Unis et de l'Amérique? L'histoire s'étoffe, les heures de cours se raréfient, du coup on survole. Rappelons que le programme de 1ère S s'étend de 1850 à nos jours. Presque deux siècles (et quels siècles!) en une année, c'est à dire trois trimestres (9 mois), 2 heures par semaines (n'oublions pas que les heures sont réparties entre l'histoire et la géographie).


Le niveau en question?


Ici se pose une nouvelle question : est-ce l'histoire au lycée qui n'est que survolée, ou est-ce le niveau en histoire dans l'enseignement supérieur qui est trop élevé? Quelle que soit la réponse, on peut en tout cas noter un certain écart encore le niveau demandé au baccalauréat, et le niveau demandé par exemple au concours d'entrée à bac+0 de l'école parisienne post-bac la plus en vogue en ce moment, à savoir Sciences Po. Le concours d'entrée à bac+0, comme son nom l'indique s'adresse aux lycéens tout juste sortis du baccalauréat dont les épreuves se déroulent à peine quelques semaines avant. Et pourtant...

Nous avons retrouvé les sujets du baccalauréat 2012 en histoire, nous avons retenu les sujets de dissertation :

Série S (terminale):  - la décolonisation de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1960
- la Ve République : institutions et vie politique
Série S (première, épreuve anticipée) : - La guerre d'Algérie
- La mutation de la population active en France de 1850 à nos jours
Séries ES et L : - L'Europe dans la guerre froide (1947-1989)
- La Ve République : institutions et vie politique

Puis, pour comparer, nous avons retrouvé les sujets d'histoire posés à Sciences Po cette même année 2012 au concours d'entrée à bac+0 :

- L'âge industriel aux Etats-Unis de la seconde moitié du XIXème siècle à la Seconde Guerre mondiale
- Le premier ministre dans les institutions et la vie politique de la France depuis le début de la Ve République
- Les relations entre la France et l'Allemagne de 1945 à nos jours.

Quiconque analyserait un peu ces sujets se rendrait compte que le niveau demandé à Sciences Po est beaucoup plus élevé (car les sujets sont plus précis, spécifiques et demandent des connaissances supplémentaires) qu'au Baccalauréat. Alors, est-ce le niveau au bac en histoire qui est trop faible? Est-ce le niveau à Sciences Po qui est trop élevé intentionnellement, afin de sélectionner les meilleurs? Sûrement un peu des deux. Une chose est sûre, ceux qui pourront réussir l'épreuve d'histoire de Sciences Po à bac+0 seront soit ceux ayant un grand intérêt pour l'histoire cultivé régulièrement, soit les très bons élèves, soit ceux ayant pu se payer une préparation privée lors de l'année de terminale. Ne parlons même pas des terminales STG qui n'ont même pas de dissertation au baccalauréat et qui, par la force des choses, n'ont même pas l'espoir de pouvoir postuler pour une école comme Sciences Po ou une autre du même acabit.

Pour conclure, si le rétablissement de l'histoire-géographie en terminale S annoncé par Vincent Peillon est un bon signal, la matière n'est cependant pas au bout de ses peines.



2 commentaires:

  1. De toute façon pour espérer rentrer à Sciences po ou dans une autre grande école, il ne faut pas se contenter des cours du lycée. C'est le même problème avec l'enseignement de l'anglais, croire qu'on sait parler l'anglais en sortant de terminale c'est une belle illusion!

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  2. Le lycée est censé donner les bases d'un minimum de culture générale, c'est ensuite à chacun de l'enrichir petit à petit au cours de sa vie... On n'est pas censé tous savoir à 18 ans!

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