Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

jeudi 7 février 2013

L'agonie des quotidiens nationaux: Presstalis contre Copernic

Le Monde et une douzaine d'autres quotidiens nationaux ont boudé les kiosques, ce mercredi 6 févier 2013, faute de distributeurs. Les éditeurs ont renoncé à leurs diffusions suite à un appel à la grève, lancé par les salariés de Presstalis, « leader » français de la distribution de la presse. Le nouveau plan de restructuration de la société, qui prévoit la suppression de 1250 postes sur les 2500 que compte actuellement l’entreprise, fait l'objet du conflit. Parmi les revendications salariales figure la renégociation de l’accord, conclu le 4 octobre 2012 entre Presstalis, les éditeurs et l’État. Qualifié de "rafistolage" et accusé de "démanteler Presstalis", cet accord vise à redresser les comptes de la société au bord du dépôt de bilan depuis 2010. 

Le blocage des titres nationaux constitue le moyen de pression privilégié des grévistes, qui cherchent à faire entendre leurs voix et à réaffirmer le sens de leur travail dans un monde en pleine transition numérique. C’est empreint de cet espoir que Marc Norguez, secrétaire général du syndicat du livre et de la communication écrite (SGLC-CGT), plaide le 22 décembre 2012 « pour une refondation de la diffusion des journaux» dans Le Monde. Mais ils sont peu nombreux à s'être émus de la disparition d'une partie des quotidiens nationaux. Et pour la première fois, plusieurs journalistes dénoncent cette grève et n'hésitent pas à évoquer la mort de la presse papier face à la révolution numérique.

 

Une « funeste » révolution ?

 

           Sur Libération.fr, Nicolas Demorand, directeur du journal, écrit un éditorial à la plume acérée où il affirme : « les ouvriers du livre, en tout cas ceux qui ont décidé d'aller à la politique du pire, pensent qu'en mourant ensemble nous vivrons plus longtemps. Funeste erreur [...] les internautes ne sauront même pas que la distribution de leur journal préféré a été perturbée dans le monde réel. Peut-être est-ce là la préfiguration de l'avenir." Comme pour lui donner raison, les quotidiens n’évoquent pas ou très peu la disparition de leur édition papier du jour sur leurs sites internet. Aucun n’en fait la Une et d'ailleurs, la version numérique du journal est disponible sur la toile. Seul le dessin de Plantu laisse deviner le ressenti des journalistes vis-à-vis de la grève, vécue comme une auto-mutilation.

        A la radio, tout juste peut-on entendre Pascal Clark, qui regrette avec amertume ses journaux papiers: « Bonjour tristesse ! Oui je sais il y a les « fr », il y les « com », il y a le point numérique sur internet, un point c’est tout, mais moi je m’en fous. Je veux des mains sales, je veux des pages qui se tournent et se froissent, je veux des mises en pages, je veux des brèves et il n’y a pas de brèves dans le monde numérique ! » (« Comme on nous parle », 06 février 2013). 

  Lancés autrefois en réaction à des menaces extérieures – la perte du monopole des petites annonces, le détournement du marché de la publicité, l’arrivée des journaux gratuits etc. – les grèves du secteur de la presse se sont transformés en une lutte interne. Les métiers de la presse papier subiraient t-ils le même sort que les anciens carrossiers de Paris du début du siècle dernier, supplantés par les taxis aux benzol et à l'essence ?

Une révolution « copernicienne »

            Au même titre que la vision du monde de Copernic a fait extrêmement peur à la société du XVIème siècle,  l’arrivée du numérique ne provoque pas moins de troubles et d’anxiété au XXIème. Celle-ci est d’autant plus forte que la presse en ligne et ses acteurs se consolident. Le 1er février 2012, un accord a été trouvé entre Google et la presse française pour la création d'un fond propre à hauteur de 60 millions d’euros destiné « à la presse d’information politique et générale » en ligne. Jusqu’ici, les aides provenaient seulement de l’État et bénéficiaient, contrairement aux autres pays de l’OCDE, d’un cadre extrêmement réglementé. Avec ce nouvel accord, le géant américain devrait permettre à la presse française de réussir « la transition numérique » et apporterait de fait son aide aux éditeurs, notamment en ce qui concerne la publicité en ligne.  En pleine croissance, le multimédia, les nouvelles technologies, tablettes, Smartphones, Ipad etc. et leurs applications rendent ainsi possible une nouvelle approche de l’information, plus spontanée, plus proche mais aussi plus rapide que la lecture du traditionnel quotidien national. 

           Ce changement dans notre perception de l'information  n'a pas eu que des effets internes au monde journalistique mais s'est étendu aux frontières même de notre société. L'émergence d'un conflit de génération (révélé par la catégorisation des générations en x ou en y) en est l'une conséquences majeurs. Les plus favorisés par ce changement sont ceux qui maîtrisent l’outil numérique et donc, principalement, les moins de 30 ans. Premiers bénéficiaire d’internet, ils sont également la nouvelle cible des médias qui n’hésitent pas à modifier leurs contenus pour les atteindre. La presse audiovisuelle notamment, à l’exemple d’ARTE, cherche à rajeunir ses téléspectateurs traditionnellement âgés de plus de 35 ans. Ainsi la création de multiples plateformes numériques dont ARTE Creative en 2011 et la mise en place d’une soirée spéciale consacrée aux jeunes permet à la chaine de redéfinir sa place dans le marché audiovisuel et numérique. Mais, derrière ces bouleversements, c’est l’ensemble des rédactions qui déplorent la perte des effectifs et souhaitent un retour en arrière.

Face à cette situation, il revient aux nouvelles générations de s’engager à contrôler ce flux d’information et à responsabiliser l'outil internet. Pour cela, il faudrait, d’une part, rendre obligatoire la maîtrise de la toile et démocratiser les produits des nouvelles technologies afin que la fracture numérique ne reflète pas la fracture sociale. D’autre part, il reviendra à la nouvelle génération d'exiger une presse en ligne de qualité, élément indispensable afin que personne n’ait envie de brûler ce nouveau Copernic, qui change peu à peu notre vision du monde et de la démocratie




FOCUS sur : le système de distribution en France
La loi du 2 avril 1947, réglementant la vente de journaux au numéro, stipule que « Toute entreprise de presse est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenable ». La plus grande entreprise de distribution de la presse en France, Presstalis, propriété de Lagardère jusqu’en 2010, est détenue à 100% par deux coopératives, celle des quotidiens et celle des magazines. 

Dans ce contexte, contrairement à l’Allemagne où la presse « suprarégionale » résiste au numérique, la France souffre d’un marché de la distribution très réduit. Les points de ventes de journaux y sont quatre fois moins nombreux que de l’autre côté du Rhin. De même, la vente par abonnement qui permet aux quotidiens allemands de continuer à avoir une clientèle fidèle n’est pas systématisée en France et n’est pas organisée par la loi.  

1 commentaire:

  1. Question éminemment cruciale que le numérique pour la presse écrite, en effet !
    Je me demande quand même quel est le véritable gagnant de l'accord Google. Je doute que ce soit la presse écrite. Ce fonds, comme tu l'as remarqué, est un "one-shot" et lorsque les subsides seront épuisés... De plus, Google a réussi à éviter le pire pour lui-même : le paiement de droits d'auteur sur chaque article référencé dans Google.

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