Voilà trois ans que les cinémas UGC ont lancé "Viva l'Opéra". Le but? Démocratiser l'opéra, le rendre accessible à tous en le faisant entrer dans les salles de cinéma à un prix défiant toute concurrence. Un véritable succès en terme de fréquentation? Assurément! Une belle opportunité pour ceux qui n'ont pas les moyens d'aller à l'opéra? Sûrement! Une petite hypocrisie? Peut-être!
L'opéra pas cher?
Falstaff, Le Chevalier
à la rose, Hänsel et Gretel...En
2013 encore, la programmation de Viva
l'Opéra fait rêver. Grâce à UGC, vous pourrez assister à ces spectacles
pour des prix compris entre 10 euros (si vous avez moins de 26 ans) et 28 euros
(tarif UGC normal pour un opéra). C'est nettement moins que ce que vous devriez
débourser en allant à l'Opéra Bastille, pour voir Falstaff par exemple, spectacle pour lequel les prix grimpent
jusqu'à 180 euros.
C'est derrière cette économie importante (il faut bien le
reconnaître) que se cache la petite hypocrisie du dispositif. Démocratiser
l'Opéra? Le faire passer de la culture d'élite à la culture populaire? Le
rendre accessible au Français lambda? Très bien! Parfait! Magnifique! Mais
alors... Pourquoi la place n'est-elle pas à 10 euros (et quelques) en tarif
plein, ou moitié moins cher pour les tarifs réduits, comme pour les autres
séances? Les spectateurs sont assis dans une salle de cinéma, sur des fauteuils
de cinéma, dans un cinéma, et regardent ce qui est projeté sur l'écran blanc du
cinéma. Pourquoi la place est-elle alors à 28 euros? Sous couvert de
démocratisation, on entretient le côté élitiste de cet art : dans un cinéma
l'opéra est ainsi trois fois plus cher que n'importe quel film, y
compris les films en 3D. Il est d'autre part réservé à quelques chanceux
puisque pour un même opéra, les séances sont au nombre de une par cinéma
concerné. Nous sommes également encouragés à réserver nos places sur internet, sur un
site dédié dont l'esthétisme raffiné rappelle furieusement les sites des vrais
opéras. Non décidément, on ne va pas voir un opéra à l'UGC comme on irait voir un
film normal.
Ne soyons pour autant pas obtus. Il existe des arguments qui
plaident en faveur de ce tarif de 28 euros. Pensons notamment au direct qui
est un bon argument de vente. C'est la promesse d'assister à l'opéra comme si
on y était puisque le spectacle se déroule en même temps devant les gradins du
théâtre et devant les sièges du cinéma. Organiser un direct mobilise
manifestement beaucoup de moyens et justifie sans doute le prix affiché. Et nous
pourrions fort bien souscrire à cet argument si le direct était généralisé. Or
pour la première moitié de 2013 (jusqu'en juillet), sur les dix opéras
programmés, "seulement" quatre sont retransmis en direct. Pour le
reste il s'agit de retransmissions.
L'Opéra de Paris réalise des captations de ses opéras, et
depuis peu (avril 2012) la filiale "Opéra de Paris production" en
détient les droits. Conformément à sa stratégie commerciale, elle diffuse
ensuite les DVDs de ses productions, notamment dans les cinémas, mais propose
aussi des VOD afin d'accroitre la visibilité de l'Opéra de Paris en France et
dans le monde. Concrètement, une séance Viva
l'Opéra à l'UGC s'apparente donc, quand elle n'est pas en direct, à la
diffusion d'un DVD sur grand écran.
D'autres solutions existent
A titre de comparaison, voici une autre démarche :
celle d'Arte. Régulièrement, la chaine diffuse des opéras et des concerts de
musique classique en soirée, gratuitement donc (la redevance télévisuelle mise
à part). D'autre part, Arte dispose aussi d'un site de vidéos à la demande où
elle propose certains opéras et concerts à la location (de 48 heures) ou à
l'achat (respectivement à 2.99 et 6.99 euros). On est loin en-dessous des 28
euros d'UGC.
Il faudrait également noter l'effort tarifaire que réalise
l'Opéra de Paris. Les prix sont en effet en baisse globale dans les salles de
spectacle et une bonne partie des places sont proposées à moins de 45 euros.
D'autre part, des tarifs inférieurs à 28 euros pour les jeunes ou pour les
places de dernières minutes ont aussi été instaurés. Le prix peut descendre
jusqu'à 5 euros pour une place debout.
Quelle logique?
En fin de compte l'association entre l'Opéra de Paris et les
cinémas, particulièrement UGC, s'avère être un partenariat très profitable. La
volonté de démocratiser cet art lyrique est bien réelle mais paradoxalement, les
deux parties surfent sur le caractère élitiste de cet art lyrique: l'Opéra de
Paris cherche à améliorer sa visibilité et à réaffirmer son prestige, et du côté
d'UGC on affirme clairement que les séances Viva
l'Opéra doivent rester un spectacle exceptionnel, de haut standing.
Il y a donc bien deux orientations contradictoires à l'œuvre.
D'un côté la volonté d'étendre le public de l'opéra à des couches plus modestes
de la société mais également aux endroits de France dépourvus de théâtre. De l'autre la volonté de réaffirmer l'exception, le raffinement
et l'élitisme de l'art lyrique : diffuser un DVD de Carmen ne doit pas coûter
beaucoup plus cher que de diffuser Die Hard 5, mais comme il s'agit d'opéra...
la place est à 28 euros. D'un côté l'opéra se démocratise, et de l'autre le
cinéma devient élitiste.
Pour illustrer cette évolution nous pouvons nous référer à l'actualité cinématographique
la plus déroutante de ces dernières semaines. Elle nous vient de Gaumont-Pathé. La société a déjà doté
certaines de ses salles de quelques nouveaux sièges gris tout confort ou de
sièges spéciaux pour deux personnes. Ces places seront à vous si vous acceptez
de payer un supplément qui peut faire grimper le ticket jusqu'à presque 17
euros. Voilà bien une initiative étonnante dans une période où beaucoup
considèrent que ce qui tue le cinéma ce n'est pas le téléchargement mais bel et
bien la place à 10 euros. Mais cette initiative témoigne surtout d'une
orientation inquiétante : De plus en plus on semble payer pour la place qu'on
occupe plutôt que pour ce que l'on vient voir.
Vaste chantier que celui de la démocratisation culturelle! En ce qui concerne "Vive l'opéra!" je crois vraiment que c'est un coup de pub et rien de plus! Pour l'Opéra c'est un moyen de se donner bonne conscience et pour UGC un moyen de diversifier son offre et d'attirer un nouveau public plus "haut de gamme" (public qui habituellement boude UGC et préfère les petits cinémas de quartier indépendants ou les cinémas art et essai).
RépondreSupprimerLes initiatives d'Arte et de France télévisions pour diffuser des pièces de théâtre et des opéras sont louables mais malheureusement pour elles les audiences ne suivent pas! Peut être parce que théâtre et opéra sont du spectacle vivant qu'on ne peut pleinement apprécier que lors d'une représentation sur place?
Andréa