Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

mardi 20 novembre 2012

"La jouissance" de Florian Zeller, un roman européen

Qu’il y a-t-il de commun entre la crise européenne et le couple contemporain? En une centaines de pages, Florian Zeller nous ouvre les portes d’une société de la jouissance à l’allure bien tyrannique. 


Passé maître de l’expression scénique, après six années sur les planches, Florian Zeller revient avec un nouveau roman à l’accent très théâtral. Construit en trois  actes à valeur chronologique, « l’ode à la joie », « le sacrifice » et « la tyrannie »,  l’ouvrage fait vivre trois personnages aux caractères bien distincts: Nicolas, trentenaire aux ambitions artistiques déçues,  Pauline, une « sentimentale » qui travaille dans une entreprise de cosmétique, et un chœur à l’accent tragique qui, mêlant anecdotes et faits d’Histoire, raconte la construction d’une Europe qui nous ressemble. 

Tragédie sans en avoir l’air, ce roman est avant tout celui de la désillusion, vis-à-vis de l’amour d’abord puis de l’idée européenne. A l’Europe flamboyante des années 70 et 80, au temps où Helmut Kohl et François Mitterrand se prennent «  main dans la main », aux premiers pas d’une histoire amoureuse succède le moment du sacrifice, une action  nécessaire mais improbable dans une société mue par la jouissance. Au couple de Pauline et de Nicolas, en profonde déliquescence, répondra la perte de sens de l’idée européenne dans un monde incapable de considérer l’Autre.  

Alors, quand « marcher ensemble » devient impossible, au moment où d’aucun n’est disposé à faire de concessions pour l’autre,  la crise apparaît. Une  crise sentimentale, idéologique et politique. C’est la tyrannie, celle de la jouissance, qui fait loi. Au bout de ce chemin, il y a surtout une création, un enfant, venu bien trop tard ou au contraire bien trop tôt, chez des êtres devenus profondément incapables de penser à autre chose qu’à leurs propres désirs. Bien loin d’être salvateur, l’enfant provoque la crise et fait mourir le couple. 

De la petite histoire d’une  séparation au caractère bien banal, Florian Zeller en fait une chronique contemporaine et l’accroche à la Grande Histoire d’une Europe qui déçoit. Parce qu’on ne peut plus penser l’autre sans passer par le filtre de soi-même et parce qu’on ne peut davantage penser l’Europe sans la montée du nationalisme, il est tout autant devenu  impossible de faire un enfant en l’aimant pour lui-même. 

Derrière la tragédie moderne,  l’ouvrage s’adresse à une nouvelle génération en quête de sens. Tout en interrogeant notre manière de vivre,  il ravive, et pour longtemps,  les consciences du monde de demain.

Editions Gallimard – Sortie en juin 2012 – 160 pages

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