Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

lundi 19 novembre 2012

" La réponse est oui, mais quelle était la question?" [Woody Allen]


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Un orchestre
Narcisse
L'oenologie
Une coupole
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Homeland
l'Espagne
Un encéphalogramme
Alain Poher
Les claquettes

Avouez, cette énumération vous laisse dubitatifs. Qu'est ce donc? Une liste de courses? Une liste à la Prévert? Une énigme? Un jeu d'association d'idées? Et bien non, rien de tout cela. Il s'agit en fait des premières réponses aux questions de l'émission "Questions pour un champion" du 16 novembre 2012, diffusée sur France 3. Oui mais voilà... Sans les questions qui vont avec, difficile de savoir de quoi l'on parle n'est ce pas?

Ceci, je le pense, peut et doit s'appliquer au journalisme, à la politique et a fortiori au journalisme politique. Trop souvent on nous présente uniquement les réponses des personnes interrogées, sans d'ailleurs savoir qu'il s'agit d'une réponse à une question. Et ces réponses, reprises en boucle, d'un média à un autre, tendent à devenir une déclaration à part entière plutôt qu'une réponse. "Pourquoi jouer sur les mots?" Me dirait-on, après tout c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Je ne le crois pas. Quand on sort une phrase de son contexte on loupe toujours quelque chose, on perd toujours un peu du sens.

Prenons un exemple pour mieux comprendre : celui des polémiques politiques. Un tel fait une déclaration, un autre réagit à ce propos, puis un autre, puis un autre, chacun donnant son avis, l'affaire gagnant l'ensemble de la sphère politique. Est-ce aussi simple? On oublie souvent, car cela est rarement mentionné, que les réactions sont souvent le fruit d'une question, par exemple : "Que pensez-vous des déclarations de Monsieur Untel?". Un premier problème surgit alors : l'homme politique aurait-il pris position de lui-même si on ne lui avait pas posé la question? Second problème, la question posée influe-t-elle sur la réponse donnée? Nous touchons du doigt ici une problématique qui n'est pas sans rappeler celle de l'œuf et de la poule : savons nous en effet si ce sont les politiques qui se servent des médias (à des fins politiques donc), ou si ce sont les médias qui se servent des politiques (pour rechercher le scoop ou faire le buzz)? Autrement dit, est-ce que le journaliste pousse l'homme politique à prendre position en posant sa question, ou est ce que l'homme politique se sert des médias comme tribune en feignant de répondre à une simple question? Et est-ce que la question posée importe peu, puisque l'homme politique veut avant tout faire passer un message devant la caméra, ou est-ce que le journaliste cherche à obtenir une réponse bien précise de l'homme politique en orientant sa question? C'est un débat qu'à mon sens nous ne sommes pas près de résoudre, car il y a certainement un peu des deux.



Nous pouvons tout de même affirmer que la question posée influe sur la réponse et qu'en cela il est impératif de la connaître pour être bien informé. Quiconque s'intéresse aux méthodes de sondage en conviendra, la question fait tout. Prenons l'exemple de la conférence de presse de François Hollande de mardi dernier, et du sondage BVA publié par le Parisien le surlendemain. Il est tout d'abord intéressant de noter que les questions posées dans ce sondage ne nous sont pas données, mais se déduisent à peu près des réponses. "Avez-vous trouvé François Hollande convaincant?". Voici une question pour le moins vague. Convaincant par rapport à quoi? Sur quel point? Et qu'est-ce que vous entendez par convaincant? Je vais exposer ici une hypothèse personnelle : Il me semble que plus une question sur un homme politique est vague ou au contraire plus elle est techniquement compliquée, alors plus elle revient à demander "Aimez-vous cet homme politique?", ce qui peut fausser largement l'interprétation des résultats. D'autre part, les instituts de sondage semblent en mesure de prévoir à peu de chose près quel type de réponse qu'ils pourront obtenir en posant telle ou telle question, et de choisir en fonction. Voilà qui illustre parfaitement les propos de Woody Allen dans le titre. Rappelez-vous il y a quelques mois quand Georges Papandréou, alors à la tête de la Grèce, voulait organiser dans son pays un référendum sur la sortie de crise proposée par l'Europe, référendum qui n'a finalement pas eu lieu. Tout le problème résidait alors dans la question que l'on allait (ou pas) poser aux Grecs. Schématiquement, allait-on leur demander "Etes-vous d'accord avec les mesures proposées par l'Europe pour sortir de la crise?" ou bien "Voulez-vous sortir de l'Europe?". Deux questions qui étaient liées car refuser les mesures de l'Europe c'était alors s'en détacher, mais l'on pressent bien que les réponses auraient été bien différentes en posant l'une ou l'autre de ces questions.

Tout cela pour dire que pour être bien informé, il faudrait dans l'idéal préciser partout que telle personne répondait à telle question quand elle a dit cela. Or cela passe bien trop souvent à la trappe. Parfois on trouve mentionné "interrogé sur tel sujet, Monsieur X a déclaré...", mais cela reste rare et encore vague. A ce titre, l'émission qui est, à mon sens, une des plus honnête à ce sujet reste Le Petit Journal de Canal+. Certains prétendent qu'ils ne font pas du journalisme, toujours est-il que lors de leurs micro trottoirs, on entend presque toujours la question qui est posée aux personnes à qui l'on tend le micro.

Mais pourquoi les questions posées ont-elles ainsi tendance à disparaître? On serait tenté de penser que cela vient de la multiplication des formats courts où l'on prétend aller à l'essentiel. L'essentiel, c'est-à-dire ce que disent les personnes interrogées. On peut penser également que le journaliste ne considère pas sa question digne d'intérêt, et que seule la réponse compte, et dans ce cas il aurait bien tort car il est des questions très pertinentes auxquelles on répond par de la langue de bois. Enfin pourrait penser au contraire que le journaliste n'estime pas devoir être jugé et/ou critiqué par l'opinion publique. Et encore une fois il aurait bien tort. Le public a le droit de considérer une déclaration d'un homme politique brillante ou complètement idiote, comme il a le droit de juger la question posée, brillante ou complètement idiote, c'est selon.

Pour conclure je dirais donc que la réponse est oui, mais quelle était la question déjà?

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