Que feriez-vous si l'on vous donnait la possibilité de devenir intelligent? Plus que cela, de devenir très intelligent, plus intelligent que tout le monde, un vrai génie? Et que feriez-vous si ce don vous était enlevé?
Le Studio des Champs Elysées joue actuellement la pièce
Des fleurs pour Algernon, tiré du roman du même nom écrit par
Daniel Keyes. Disons le tout de suite, cette pièce est une franche réussite.
Algernon est une petite souris de laboratoire. Deux scientifiques reconnus ont voulu tester sur elle une opération visant à accroître son intelligence.
Les résultats sont époustouflants et incitent les scientifiques à passer aux
tests humain. Charlie Gordon est le sujet choisi pour l'expérience, son QI ne
dépasse pas 68 et il se fait régulièrement battre par la petite souris, devenue
intelligente, lors du test du labyrinthe. Mais il a une grande envie
d'apprendre, une envie stimulée par Miss Kinian, sa charmante professeur qui
lui enseigne la lecture et l'écriture. L'opération est un succès!
Progressivement Charlie devient intelligent, plus intelligent que tout le
monde. Il découvre le monde en même temps que le savoir, la connaissance, et
même l'amour auprès de Miss Kinian, devenue Alice. Mais un jour, la petite
souris décline, régresse et finit par mourir. Dans quelle mesure les destins de
Charlie et d'Algernon sont ils liés? Que peut-on faire quand l'on sait que l'on
va redevenir bête, et que rien ne l'empêchera?
Voici pour l'intrigue, cette dernière étant magnifiquement
servie par une mise en scène bien pensée. Gregory Gadebois, l'acteur
pensionnaire de la Comédie Française, est seul en scène et réussit la
remarquable performance de faire vivre à lui tout seul l'histoire et les
différents personnages à travers l'oeil d'un Charlie plus que convaincant,
bouleversant. La scène est étroite, carrée, entourée de projecteurs aux fils
apparents, c'est la cage scientifique à travers laquelle Charlie est observé.
Cette scène, c'est également la tête de Charlie Gordon, brouillonne, désordonnée, une véritable cage en elle-même, mais aussi un poste d'observation à partir duquel
il regarde les autres. Cette mise en scène particulière réussit le tour de
force de nous faire rentrer dans le cerveau de ce personnage, là où tout se
passe. Assis sur sa chaise, Charlie Gordon nous raconte alors à sa manière ce
qu'il lui arrive, seul. Car la solitude de l'acteur sur scène est un reflet de
la condition de son personnage, éternellement "inadapté", ce sont ces
termes. Bête, il est mis à l'écart. Intelligent, il les surpasse tous. Les
autres, il ne peut les croiser que deux fois, brièvement, une fois en montant,
une autre fois en redescendant.
Cette histoire particulière donne lieu à des moments
touchants mais aussi à des instants de rire, dus à la fois à la gentille naïveté de l'homme
simple et à la condescendance du génie, le tout très justement interprété par
Gregory Gadebois. On retrouve à certains moments ce procédé critique et
humoristique qu'avait déjà utilisé Montesquieu en son temps dans Les
lettres persanes. Charlie Gordon devenu intelligent s'apparente ainsi à
un étranger découvrant un nouveau monde et ses moeurs étranges. Le long et
savoureux passage du décryptage de la bise en est un parfait exemple.
"Des fleurs pour Algernon" explore donc le double
cheminement d'un homme simple devenant un génie, et celui d'un génie régressant
jusqu'à devenir simple. Mais plus que dans ce processus, c'est dans les
relations avec les autres personnages, ceux qui ne sont pas là, que cette pièce
réussit à nous émouvoir le plus. Grégory Gadebois, formidable dans ce rôle,
réussit d'ailleurs à nous faire oublier qu'il est seul en scène, et lorsqu'on
se mêle à la foule qui sort du théâtre et qu'on écoute les conversations, on ne
peut que constater que cette prestation a fait l'unanimité.
"Des fleurs pour Algernon" est une pièce adaptée
du roman du même nom par Gérald Sibleyras, mise en scène par Anne Kessler et
jouée par Grégory Gadebois. Elle se joue au Studio des Champs Elysées à Paris
jusqu'au 31 décembre 2012, à voir absolument!
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