Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

lundi 14 janvier 2013

Le mariage pour tous, première partie : de l'histoire et des notions


En matière de mariage pour tous, les positions de chacun sont pour le moins complexes et diverses. Il y a les homosexuels favorables au mariage, les homosexuels qui sont contre, les hétéro qui sont pour, les hétéro qui sont contre. Il y a ceux qui sont homophobes, il y a ceux qui n'ont rien contre les homos mais qui sont contre le mariage. Il y a ceux qui sont pour le mariage et pour l'adoption et pour la procréation médicalement assistée, il y a ceux qui sont pour le mariage et l'adoption mais pas la PMA, il y a ceux qui sont pour le mariage mais contre l'adoption. Et il y a aussi ceux qui n'en ont rien à faire, il ne faudrait pas les oublier. Bref, il faut de tout pour faire un monde, et tout ce petit monde est en ébullition.




Perspective historique - sauvegarder l'ordre


La France est divisée sur la question du mariage pour tous. Mais pense-t-on que cette division est nouvelle? Si oui, on fait fausse route. Les débats qui agitent actuellement notre société ne datent pas d'hier. Il s'agit en fait d'un éternel recommencement.

Sans remonter aux calanques grecques, je voudrais néanmoins m'arrêter sur une date importante du 19ème siècle: le 27 juillet 1884. Ce jour là, la loi Naquet rétablit le divorce en France, du moins en partie. Le divorce par consentement mutuel n'est pas reconnu (il faudra attendre 1975), seul l'est le divorce pour faute. Cette année là, et les années qui précèdent, les débats sont âpres entre les opposants et les partisans du divorce. Et déjà, il y a 129 ans, on retrouve les mêmes arguments que ceux développés aujourd'hui. La logique est en effet la même. Je vous propose ici des extraits des débats à la chambre des députés le 6 mai 1882:

Monsieur le député des Deux-Sèvres, Henri Giraud : "Messieurs, le divorce que vous demandez aura des conséquences déplorables. Il jettera le trouble dans les ménages, le trouble dans la société ; il attente au bonheur des époux, au bonheur des familles, au bonheur des enfants. Et par conséquent il faudrait quelque chose de très grave, un besoin impérieux, une exigence extrême de ceux que nous représentons ici, pour que nous rétablissions un pareil principe, quand depuis si longtemps l'usage en est aboli. Il faut craindre aussi, messieurs, que le divorce ne provoque l'adultère dans certains ménages (...)".

Un peu plus tôt, ce même député disait également ceci  : "Maintenant, voulez-vous arrêter votre attention sur le sort des enfants? (...) Je voulais, l'autre jour, établir un arbre généalogique afin de me rendre compte de ce que serait la situation des enfants nés de plusieurs mariages successifs, et j'ai trouvé que c'était inextricable. Tout ce que je sais, c'est qu'avec le divorce la situation des enfants sera cent fois pire que sous le régime de la séparation des corps qui est aujourd'hui notre loi. Les enfants auront beaucoup à souffrir, physiquement et moralement."

On retrouve déjà ici les principaux thèmes abordés par les opposants au mariage pour tous : le modèle de la famille en péril, la décadence de la société, le danger pour les enfants, la réforme non réclamée par la population. De fait, ce débat sur le divorce en 1882 et le débat actuel sur le mariage gay se prête magnifiquement bien à une application de la thèse développée par Albert Hirschman dans son livre Deux siècles de rhétorique réactionnaire. L'auteur a ainsi repéré trois figures rhétoriques qui servent de base à toute argumentation réactionnaire (dans le sens de réaction à un progrès, ou à une avancée présentée comme tel) :

- L'effet pervers : qui consiste à dire que les effets non voulus de la réformes seront pires ou à l'opposé des bienfaits escomptés. Dans le cas du divorce c'est la multiplication des adultères, l'augmentation de l'inégalité entre l'homme et la femme.
- L'inanité : qui consiste à dire que la réforme ne changera rien. Dans le cas du divorce, c'est le fait de dire que le mariage est une règle naturelle au dessus de la loi et que de toute façon la population ne demande pas le divorce.
- La mise en péril : ici le terme parle de lui-même. Mise en péril de la famille, de la société, des acquis durement obtenus.

Et cela s'applique aujourd'hui au mariage pour tous (essayez, vous verrez) ainsi qu'à tous les combats qui ont jalonné le chemin entre 1884 et nos jours pour la conservation de l'ordre. Car voilà bien ce qui réunit les opposants au divorce en 1884, les opposants à la pilule en 1966, à l'IVG en 1974, au divorce par consentement mutuel en 1975, au PACS en 1999 et les opposants au mariage pour tous en 2013. Ces derniers sont les héritiers d'une tradition politique qui place l'ordre et son maintien au centre de l'argumentation. Il peut s'agir de l'ordre politique, de l'ordre social, de l'ordre moral, de l'ordre familial ou encore de l'ordre religieux. Ce n'est pas une tare en soi, simplement un constat.

Pour en finir avec ma rétrospective historique, du côté des partisans du divorce, on mettait déjà en avant le principe de l'égalité et de la liberté. Tout comme aujourd'hui. Rien de nouveau sous le soleil donc.



Le mariage en question


Et il y a tellement peu de nouveauté qu'aujourd'hui encore, la principale problématique qui sous-tend toutes les autres, c'est celle de la définition du mariage. Il semble que la division se joue d'abord là-dessus, car le mariage n'est pas compris par tout le monde de la même façon. Je vais me permettre de citer une dernière fois la séance parlementaire du 8 mai 1882, un opposant au divorce prend la parole :

"Il [le rapporteur] vous a montré les sociétés humaines se développant, grandissant, s'étendant, s'épurant par les vertus de la famille ; il vous a montré l'homme, retenu au début dans des liens grossiers, se dégageant peu à peu, par étapes successives à travers les âges de progrès, de la polygamie, pour se renfermer, par ses propres lois, dans le mariage indissoluble. (...) Pourquoi l'honorable rapporteur vient-il en même temps vous dire qu'il faut redescendre le cours du progrès?"

Tout est là. En 1884 comme aujourd'hui, pour une partie de la société, le mariage est l'aboutissement d'une société évoluée, un âge d'or naturel qui voit s'unir un homme et une femme dans le but de fonder une famille indissoluble. C'est bien là que réside le problème. Après plusieurs heures de débat, il résulte que bon nombre d'opposants au mariage pour tous, l'amour n'a rien à voir avec le mariage. Ou tout du moins, ce n'est pas ce qui est le plus important. Le plus important c'est la fondation d'une famille, le mariage étant lié directement à la procréation. Cela se tient, rappelons que pour les puristes, l'acte sexuel ne peut avoir lieu que dans le cadre du mariage, et pour les plus puristes encore, l'acte sexuel n'est alors pas protégé car il a pour but la conception de l'enfant. Voilà sur quel modèle se fondent une partie des opposants au mariage pour tous, le modèle du mariage comme prélude à la famille, le mariage comme engagement indissoluble d'un homme et d'une femme. Dans ce système de pensée, le mariage homosexuel est en effet une aberration, car c'est une union non fertile et non naturelle, qui peut être acceptée, mais non dans le cadre institutionnel du mariage. La Grèce antique est d'ailleurs souvent prise en exemple : l'amour entre homme y est banal et répandu, mais lorsqu'il s'agit d'une mariage, c'est toujours un homme et une femme, car l'objectif encore une fois reste la procréation. Cette partie de la société distingue donc en quelque sorte famille et amour.

Oui mais voilà, la définition du mariage a évolué. De nos jours, l'amour dans le mariage est mis en avant. On se marrie de moins en moins par devoir. Rappelons qu'il n'y a pas si longtemps, les époux et épouses étaient choisis par les parents, et un garçon mettant, accidentellement ou non, une fille enceinte était tenu de l'épouser. Cela est aujourd'hui marginal. L'amour comme raison du mariage est communément admise, même chez les couples précédemment cités cherchant à fonder une famille. Cela tient à l'évolution progressive de la société. Le divorce a mis fin au mariage définitif, la contraception et l'avortement ont permis aux hommes comme aux femmes de gérer leur désir ou non d'enfant. Le résultat de ceci c'est une diversification du mariage. Aujourd'hui on peut se marier sans avoir d'enfant par la suite, on peut faire des enfants hors mariage, on peut se marier, divorcer, se remarier, et fonder plusieurs familles, on peut se marier pour institutionnaliser l'amour, ou bien même se marier uniquement pour les avantages que cela offre en terme de droits et de fiscalité. Les combinaisons sont multiples. On peut même ne pas vouloir se marier. C'était la tendance à la mode chez les jeunes dans les années 1970, où l'institution du mariage était en partie rejetée, au nom de la liberté. A ce titre, il est intéressant de noter ce basculement en quelques dizaines d'année puisqu'en 2013 tout le monde semble revendiquer le droit au mariage, ou en tout cas à son mariage.

Ainsi, du côté des partisans du mariage pour tous, c'est l'amour qui prime, ainsi que le droit pour deux hommes ou deux femmes d'être en couple et de fonder une famille. Là aussi l'évolution de la société a bien aidé. La frontière entre masculinité et féminité, ou plutôt entre paternité et maternité est beaucoup moins tranchée. Certaines pancartes vues dans les manifestations du 13 janvier 2013 à Paris résument bien les  positions traditionnelles de l'homme et de la femme dans le couple, un peu clichées, qui tendent à disparaître si ce n'est pas déjà fait. On a pu lire par exemple "une mère pour la tendresse, un père pour la discipline". L'image du père autoritaire, chef de famille, et de la mère tendre et délicate, ne recouvre plus guère une vérité générale. On peut être un homme sans être autoritaire, on peut être un homme et être une fée du logis, comme on peut être une femme sans être particulièrement tendre ou habile dans les tâches ménagères. Les combats féministes n'ont à ce titre jamais cessé de réclamer la fin des discriminations et l'égalité homme/femme. Le clivage se situe là, entre ceux qui pensent que les rôles de l'homme et de la femme dans le couple ne sont pas interchangeables, et ceux qui pensent au contraire qu'un homme peut très bien assurer le rôle traditionnellement dévolu à une mère et vice versa. Entre égalité et complémentarité. Simple arithmétique : si la femme est l'égale de l'homme, alors la réciproque est vraie et l'un peut bien se substituer à l'autre, par exemple dans la famille. Ou alors on déclare la femme complémentaire de l'homme et l'on voit bien les réactions qu'il y a eu en Tunisie en août 2012 lorsque la nouvelle constitution prévoyait d'employer cette expression...

Le débat actuel prendrait donc ses racines dans la définition même du mariage et de la famille. Des logiques différentes sont à l'œuvre dans chaque camp et ces logiques sont les fondements sur lesquels s'établissent les autres antagonismes. Tout part de là, que ce soit la question des enfants en général, de l'adoption ou encore de la procréation médicalement assistée.

jeudi 20 décembre 2012

La part de l’Autre ou Adolf H. d’Eric-Emmanuel Schmitt


Si Hitler avait réussi les Beaux-Arts,  le monde n’aurait certainement pas le même visage et nous non plus. Suivant cette hypothèse, l'auteur nous peint deux Adolfs asymétriques et nous plonge dans l'Histoire tel que nous ne l'avons jamais vu.

 


Que pouvons-nous apprendre d’un nouveau livre sur Hitler ? Il y en a tellement, des analyses, des histoires, des archives, des déductions dont beaucoup relèvent du pur fantasme : certains voient Hitler comme un dangereux homosexuel frustré, d’autres comme un hétérosexuel sadomasochiste. Centré sur une étude ontologique du dictateur, l'ensemble de ces écrits vivifient son image contemporaine, celle d'un personnage mythologique, presque théologique, ancré par voie de conséquence, en dehors de toute humanité. Et pourtant, Hitler était un homme, il a fait des choix et comme chaque homme, il avait devant lui, ouvert, tout le champ des possibles.  

 

Un miroir déformant    

 

Faire d’Hitler une personne, en somme le comprendre sans jamais le justifier, tel est le défi relevé par Eric-Emmanuel Schmitt. Dans cet ouvrage, deux récits se répondent sans jamais se croiser, celle d’Hitler et celle de son double Adolf H, le clochard autrichien devenu tribun politique allemand et le peintre surréaliste, jouisseur altruiste. Au fil des pages, nous partageons les pensées et les rencontres de ces deux personnages, deux mêmes faces d’un miroir déformant,  auxquelles, étrangement et singulièrement, nous parvenons à nous identifier. Finalement, Hitler aurait pu être un autre.

 

Hitler versus Dorian Grey

 

Mais sans Hitler, sans l’antisémitisme allemand, sans les camps de concentration, quelle Histoire pourrions-nous apprendre? Quel monde imaginer ? Aurions-nous vu une seconde Guerre mondiale ? Un État d’Israël ? Une bombe atomique ? Prudent, l'auteur nous offre une autre Histoire, toujours en miroir de la réalité. On aurait pu lui reprocher de n'avoir pas donner plus de détails sur ce monde fantasmatique. Mais ce serait trop vite oublier que ce roman est avant tout l'expression de nos  fantasmes et de notre propre peur. 
Au-delà du personnage d’Hitler, c’est en effet le lecteur qu’Eric-Emmanuel Schmitt dépeint. Semblables à Dorian Grey, nous n’acceptons pas de contempler notre image telle qu'elle est, de percevoir notre humanité autrement que sous une belle apparence. Alors, quand, enfin, nous nous voyons, à nu, nous cessons d’exister. Heureusement pour nous, il ne s’agit que d’un livre… 

Édition le Livre de Poche - 503 pages - août 2012 - 1ère publication: septembre 2003

vendredi 14 décembre 2012

L'histoire au lycée

Le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a décidé de réintroduire l'histoire en terminale S. Cette décision, si elle doit être saluée, ne règle cependant pas tous les problèmes auxquels est confronté l'enseignement de l'histoire au collège et au lycée.



Des programmes mal conçus?


Le premier souci concerne les programmes eux-mêmes. Pour être plus clairs et précis, nous examinerons plus en détail le cas de la classe de première, une année déterminante puisque c'est dans cette classe que les élèves sont censés apprendre les évènements majeurs du premier 20ème siècle. Voici le sommaire d'un manuel d'histoire de 1ère générale (séries S, L et ES confondues). 



Ce qui frappe et ce qui peut choquer ce n'est pas tant les thèmes abordés que l'ordre dans lequel ils sont abordés. Que l'on traite de la colonisation en dehors des autres évènements du 20ème siècle passe encore, c'est un thème que l'on peut voir un peu à part, pour peu que l'on ait déjà la chronologie principale en tête. Ce qui est dérangeant en revanche, c'est l'agencement des trois premiers thèmes. On est censés voir la croissance et la mondialisation depuis 1850 (soit un siècle et demi tout de même), avant tout le reste. Les révolutions industrielles sont traitées à part de la guerre, et les Trente Glorieuses sont étudiées avant la Seconde Guerre mondiale. Plus dérangeant encore, on est censés parler des guerres au 20ème siècle sans aborder les totalitarismes (qui ne sont étudiés que dans le chapitre d'après), voilà bien une aberration historique! Du coup, on étudie la guerre froide avant de s'être penché sur le communisme soviétique.

Bien sûr il ne s'agit que des manuels, et l'on peut espérer que les enseignants conservent une certaine logique chronologique dans leurs cours. Mais les manuels ne sont que le reflet des programmes officiels. Un professeur qui aborderait les totalitarismes avant la seconde guerre mondiale serait mal noté lors d'une inspection.

S'il y a une matière où la chronologie est primordiale c'est pourtant bien l'histoire. Attention, loin de moi l'idée d'insinuer que l'enseignement de l'histoire doive se contenter d'une suite de dates. Mais quand on étudie des phénomènes passés on ne peut pas dissocier hermétiquement des grands thèmes car tout est lié. Entre autres, ce serait ignorer le rôle de l'industrie dans la Première et Seconde Guerre mondiale, ce serait ignorer le poids de l'effort de reconstruction dans l'avènement des Trente Glorieuse, ce serait ignorer l'impact de la Seconde Guerre mondiale dans la décolonisation  que de procéder ainsi. En cloisonnant l'histoire en thèmes on se limite dans l'étude historique en laissant volontairement de côté des phénomènes qui pourraient expliquer telle ou telle situation. Et ce d'autant plus que le 20ème siècle est une période où tout se bouscule et se bouleverse à une très grande vitesse.

L'apprentissage par grands thèmes n'est pas en soi mauvais, il est simplement inadapté. Pour être plus précis, cela vaut surtout quand le public connaît déjà plus ou moins la période étudiée. Ce n'est pas vraiment le cas en première et terminale. Pour beaucoup d'élèves, c'est la première fois qu'ils sont confrontés à l'histoire de cette période que le collège n'a fait que survoler.

Tout ce que nous venons de dire concerne essentiellement les séries générales. La réintroduction de l'histoire en terminale S est en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt de l'éducation secondaire. Ainsi, quand on parle d'histoire on oublie systématiquement les séries techniques qui sont encore moins bien loties.


Quand on regarde le sommaire d'un manuel de 1ère technique on se rend compte tout d'abord qu'il est beaucoup plus réduit (deux pages au lieu de quatre pour les séries générales) et surtout beaucoup plus simplifié. Est-ce à dire que les élèves des séries techniques n'auraient pas droit à un enseignement historique un minimum approfondi? Ou bien qu'ils n'en auraient pas le niveau? On me répondra assurément qu'il s'agit là des séries techniques, dans lesquelles l'histoire est plus qu'accessoire, voire anecdotique pour un public pour partie en échec scolaire au collège, et souhaitant surtout apprendre un métier. On touche là à un des problèmes du système éducatif français que je me permettrais d'aborder sans trop le développer. Nous sommes dans un système où les séries générales dominent toutes les autres en terme de prestige. Les élèves en échec scolaire au collège sont souvent redirigés vers des séries plus professionnalisantes. Cela signifie, schématiquement, que l'on va orienter un élève qui a des difficultés vers une filière où rien ne lui sera offert pour corriger ces difficultés. Bonjour l'égalité des chances. D'autre part, il est difficile de voir comment les filières techniques pourraient avoir autant de prestige que les filières générales tant que l'on continue à les associer à des formations "intellectuelles" beaucoup plus superficielles, et ce même si le volume horaire est moindre.


Un nombre d'heures insuffisant?


Et parler du volume horaire me permet d'aborder le second problème auquel est confronté l'enseignement de l'histoire. Vous l'aurez compris, il s'agit du nombre d'heures. Il ne faut en effet pas être dupe de la volonté du ministre de l'éducation Nationale de réintroduire l'histoire en terminale S. Si l'on suit les modalités de ce changement, les élèves de 1ère S qui ont aujourd'hui quatre heure de cours d'histoire par semaine n'en auront plus que deux heures et demi. Moyennant quoi, en terminale, deux heures d'histoire par semaine sont réintroduites. Le gain est d'alors une demi heure par semaine. Cela relève plus de l'étalage que d'une réelle augmentation ou réintroduction de l'histoire. Il n'y a pas si longtemps, cinq ans exactement, il y avait trois heures d'histoire en terminale S, et le même nombre en première, soit un total de six heures hebdomadaires sur les deux années. Et si ce total est plus important dans les séries ES et L, il ne faudrait pas oublier que ces fameuses heures dont nous parlons doivent également être consacrée à la géographie et à l'éducation civique, de quoi fausser les calculs.
Cette question du volume d'heure n'est pas anodine. Si le nombre d'heures de cours d'histoire stagne ou diminue, le volume historique lui ne cesse de s'accroître, à la fois parce que le temps passe et parce que les recherches historiques se poursuivent, introduisant de nouvelles façon d'aborder l'histoire en générale ou une période en particulier. Oui le volume horaire est directement lié au débat actuel qui consiste à savoir quelle histoire on doit enseigner aux élèves et comment on doit le faire. D'ailleurs pourquoi y a-t-il débat? Pourquoi y a-t-il division? Tout simplement parce que si l'on introduit une nouvelle façon de voir les choses, de nouveaux thèmes, de nouvelles périodes, et bien on doit en retirer d'autres, faute de temps pour tout faire. En résultent des programmes toujours en partie lacunaires et/ou bricolés qui s'attardent volontiers sur la nécessaire histoire de France sans avoir la possibilité de dépasser. A quand des cours d'histoire optionnels sur l'histoire de l'Asie féodale? Sur l'histoire des dynasties ottomanes? Sur l'histoire des États-Unis et de l'Amérique? L'histoire s'étoffe, les heures de cours se raréfient, du coup on survole. Rappelons que le programme de 1ère S s'étend de 1850 à nos jours. Presque deux siècles (et quels siècles!) en une année, c'est à dire trois trimestres (9 mois), 2 heures par semaines (n'oublions pas que les heures sont réparties entre l'histoire et la géographie).


Le niveau en question?


Ici se pose une nouvelle question : est-ce l'histoire au lycée qui n'est que survolée, ou est-ce le niveau en histoire dans l'enseignement supérieur qui est trop élevé? Quelle que soit la réponse, on peut en tout cas noter un certain écart encore le niveau demandé au baccalauréat, et le niveau demandé par exemple au concours d'entrée à bac+0 de l'école parisienne post-bac la plus en vogue en ce moment, à savoir Sciences Po. Le concours d'entrée à bac+0, comme son nom l'indique s'adresse aux lycéens tout juste sortis du baccalauréat dont les épreuves se déroulent à peine quelques semaines avant. Et pourtant...

Nous avons retrouvé les sujets du baccalauréat 2012 en histoire, nous avons retenu les sujets de dissertation :

Série S (terminale):  - la décolonisation de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1960
- la Ve République : institutions et vie politique
Série S (première, épreuve anticipée) : - La guerre d'Algérie
- La mutation de la population active en France de 1850 à nos jours
Séries ES et L : - L'Europe dans la guerre froide (1947-1989)
- La Ve République : institutions et vie politique

Puis, pour comparer, nous avons retrouvé les sujets d'histoire posés à Sciences Po cette même année 2012 au concours d'entrée à bac+0 :

- L'âge industriel aux Etats-Unis de la seconde moitié du XIXème siècle à la Seconde Guerre mondiale
- Le premier ministre dans les institutions et la vie politique de la France depuis le début de la Ve République
- Les relations entre la France et l'Allemagne de 1945 à nos jours.

Quiconque analyserait un peu ces sujets se rendrait compte que le niveau demandé à Sciences Po est beaucoup plus élevé (car les sujets sont plus précis, spécifiques et demandent des connaissances supplémentaires) qu'au Baccalauréat. Alors, est-ce le niveau au bac en histoire qui est trop faible? Est-ce le niveau à Sciences Po qui est trop élevé intentionnellement, afin de sélectionner les meilleurs? Sûrement un peu des deux. Une chose est sûre, ceux qui pourront réussir l'épreuve d'histoire de Sciences Po à bac+0 seront soit ceux ayant un grand intérêt pour l'histoire cultivé régulièrement, soit les très bons élèves, soit ceux ayant pu se payer une préparation privée lors de l'année de terminale. Ne parlons même pas des terminales STG qui n'ont même pas de dissertation au baccalauréat et qui, par la force des choses, n'ont même pas l'espoir de pouvoir postuler pour une école comme Sciences Po ou une autre du même acabit.

Pour conclure, si le rétablissement de l'histoire-géographie en terminale S annoncé par Vincent Peillon est un bon signal, la matière n'est cependant pas au bout de ses peines.



dimanche 2 décembre 2012

Israël vs Palestine : des chiffres et des lettres

Et si 1 était égal à 30 ? Dans la guerre fratricide entre la Palestine et Israël, les chiffres perdent de leurs sens, tandis que les mots, eux, étrangement, nous parlent.


"Une réponse proportionnée". Voici ce qu'a demandé, le 16 novembre 2012, l'Union Européenne à Israël, qui poursuivait son offensive contre la bande de Gaza. Aujourd’hui, le bilan de l'attaque s’élève à 174 morts du côté palestinien contre 6 morts du côté israélien. En toute proportionnalité, cela revient à dire qu’un israélien équivaut à 29 palestiniens. Au-delà des questions fondamentales de la valeur d’une vie humaine, s’en pose une autre politique : était-ce le résultat escompté par l’Union Européenne? En somme, n'y a t-il pas eu d'erreur dans la pose de l'équation?

+ 65 ans
  
Par un fin calcul mathématique, les dirigeants pensent bien souvent pouvoir infléchir l’Histoire. C'est pourquoi, Il fallait un chiffre rond pour faire de la Palestine, neuf jours après une offensive meurtrière, un « État observateur non membre » de l’organisation des Nations-Unis. Le 29 novembre 2012 devait ainsi répondre au 29 novembre 1947, date à laquelle le plan de partage de la Palestine en deux états, juif et musulman, fut adopté par l’ONU. Après 65 années, quatre générations perdues, 51 000 morts, selon les estimations, dans les deux camps et 3000  logements de plus construits à Jérusalem-Est par Israël, quel sens peut-donc bien avoir la coïncidence de ces deux dates ? Aucun des protagonistes n’en ont l’usage. La Palestine est passée d’une entité à un « État » sans gagner le droit de voter au sein de l’ONU, tout juste a-t-elle la possibilité d’adhérer à certains traités internationaux. Israël garde, quant à elle, son allié indéfectible, les États-Unis, à laquelle elle confie unilatéralement, depuis les lois américaines des années 90, son propre destin. Les dates tout comme les chiffres ne semblent plus avoir de sens, alors pourquoi les utiliser ?  

Place aux mots

La présence des chiffres et l’absence d’utilisation des mots est une pathologie politique qui peut avoir deux sources. D’une part, les mots disparaissent devant une situation « inqualifiable » par peur de leurs impacts et les chiffres les remplacent. D'autre part, c’est la force de certains mots qui en fait oublier d'autres. Ainsi, les  termes de « Plomb durci » (2008), d’ « Éliminations ciblées » (2010), de « Pilier de défense » (2012), utilisés par l'État d’Israël pour désigner ses interventions à Gaza, portent en eux-mêmes une charge si forte que dire autre chose peut paraître impossible. Les mots peuvent également manquer, lorsqu’une situation politique empêche de formuler clairement une direction propre.  La métaphore mathématique de l’Union Européenne n’est alors que le symptôme d’un manque de politique étrangère commune, épinglé d’une formule diplomatique aussi floue que malheureuse.

Pour faire une place aux mots dans le calcul, rien n’est plus salutaire que l’étymologie pour retrouver du sens. A  la signification guerrière de Gaza, « forteresse » en arabe, à celle poétique de Tel-aviv, « colline artificielle sur un champ de ruine au printemps » répond celle de Jérusalem, ville fondée par Salem, lieu de paix. Les mots peuvent autant réunir que diviser. L’ « enthousiasme » du Hamas devra répondre un jour à l’ « ouverture » du Fatah pour fédérer l’ensemble disparate qu’est la Palestine et retrouver un visage uni entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Cela permettra peut être de réaliser un monde où les mots arriveront, un jour, à remplacer les roquettes…