Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

dimanche 28 novembre 2010

Appel Citoyen

Alors qu'internet s'ancre au cœur du politique suite aux publications de Wikileaks, l'écart entre le citoyen et l'Etat se creuse : L'un crie « victoire», l'autre « tyrannie ». Aperçu.

 

Au grand dam de Louis Brandeis, fondateur de la Transparence, la lumière du soleil ne « désinfecte » plus le regard du citoyen désabusé. Chaque jour amène de nouveaux mémos diplomatiques et l'information passe, vérité officieuse devenue officielle, dans les grands titres de nos journaux. Mais si la transparence, à laquelle Wikileaks et les journalistes se réfèrent constamment, a évidemment gagné du terrain, il n'est pas sûr que cet idéal ou, dirais-je plutôt, cette idéologie, aide le citoyen à reprendre confiance en la démocratie. Il serait même plutôt le moteur de son désenchantement. A l'origine, pourtant, le mouvement de la transparence, débuté au États-Unis, poursuivait un autre but: en éclairant le citoyen sur les défaillances de l'état, celui-ci aurait dû pouvoir jouir pleinement de sa fonction et juger en conséquence. Considéré ainsi comme une vertu démocratique, le mouvement a pris une telle ampleur que rares sont aujourd'hui les domaines où le mot «transparence » n'existe pas. Il est économique, quand on parle de la transparence des banques, il est sociologique, quand Facebook devient producteur d'un lien social virtuel, il est politique quand Tony Blair fait voter une loi sur la liberté d'information en 2005. Souhaitable sans aucun doute pour une meilleure visibilité des organismes économiques et étatiques, la transparence a aussi de nombreux effets pervers pour la démocratie. Et Wikileaks en offre un des meilleurs exemples.

Un 28 novembre dans l'Histoire


Les conséquences de ce 28 novembre nous sont encore inconnues. Et pourtant, il est certain aujourd'hui qu'il constitue une nouvelle étape dans l'histoire des états démocratiques et cela pour trois raisons: c'est la première fois que des documents diplomatiques officiels ont été jetés à la face du monde. En s'attaquant à la raison d'état, Wikileaks a touché le cœur de la sphère politique. C'est un acte sans précédent et à long terme une pure folie, car la diplomatie américaine a vu la confiance, qu'elle avait instauré avec difficulté dans les pays arabes notamment, s'évanouir en moins d'un clic. En rompant ainsi cet équilibre dans les relations internationales, Wikileaks et ceux qui l'ont suivi ont donné aux dictatures une raison légitime de brider un peu plus la liberté d'information. Hu Jintao peut aujourd'hui se féliciter d'avoir aussi bien sécuriser son Web. Mais plus grave encore est la réaction de nos états démocratiques. Déjà le rejet systématique de Wikileaks et les poursuites judiciaires sont les symptômes d'une peur incontrôlable. Une telle attaque ne peut contribuer qu'à plus d'opacité et à l'installation durable d'une perte de confiance à l'intérieur même de l'organisme étatique mais aussi, et c'est bien pire, entre l'état et le citoyen.

Après la publication des dossiers, le climat de défiance qui régnait déjà entre ces deux entités s'est encore exacerbé. L'un s'est émerveillé de voir son pouvoir de surveillance se renforcer, l'autre a pris peur et a commencé une chasse à l'homme. Cet écart entre les deux n'est cependant pas une nouveauté. Les contre-pouvoirs, qui par leur définition même s'opposent à l'état, ont pris une telle importance de contrôle et de surveillance que le citoyen se conçoit aujourd'hui moins comme un citoyen-électeur que comme un citoyen-surveillant. La politique elle-même provoque plus de répugnance que de volonté et l'impuissance du citoyen relayé par celle de l'état devant les instances économiques, en est aussi en partie la cause. C'est dans cette faille de la démocratie moderne que Wikileaks a pu entrer. Tel un corps étranger dans un organisme, il a contaminé la plaie rendant impossible tout retour en arrière.

Ce 28 novembre, Wikileaks, à travers Internet, s'est aussi autoproclamé nouveau « contre-pouvoir ». Un site informel, sans queue ni tête, sans légitimité, s'est vu propulsé sur le devant de la scène grâce à cinq journaux internationaux. Ainsi ceux qui font traditionnellement tout l'exercice de la démocratie, ont laissé Wikileaks s'infiltrer à l'intérieur sans se soucier des conséquences et pour une seule chose: le scoop. Aussi certains journalistes ont pu en toute impunité parler de Julian Aussange comme d'un idéaliste. Néanmoins, le mot qui serait plus juste d'employer est celui d'idéologue. Loin en effet de proposer un idéal qui entraîne les hommes vers un avenir plus juste ou plus attrayant du moins, Wikileaks veut miner le politique jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un cadavre dénué de toute passion. Car le site ne se fonde que sur un primat négatif: Le politique est mauvais de par nature et il est là pour le révéler. De fait, bien loin d'être l'outil d'une démocratie plus participative, internet, à travers la transparence, est devenu l'instrument et le moteur du terrible désenchantement qui hante aujourd'hui la démocratie. Néanmoins il nous reste à espérer que l'idéal démocratique sera plus fort que l'idéologie transparente. Encore faut-il lui donner du sens.

Donner du sens à la démocratie


Mettre à nu la démocratie ne signifie pas donc lui donner plus de sens. Le regard ne peut révéler une quelconque vérité politique. Comme l'indiquait Madame de Chartres dans la Princesse de Clèves à propos de la Cour du Roi: « Si vous jugez sur les apparences en ce lieu ci, vous serez souvent trompé, ce qui paraît n'est presque jamais la vérité ». Plus le regard se fait juge dans une société, plus les apparences prospèrent. Il faut donc s'opposer à la transparence absolue, tel que l'entend Wikileaks. Pour autant, il est nécessaire de fonder un mouvement qui consolide notre démocratie. Nous ne vivons pas dans une nouvelle URSS où la « Glaznost » est une nécessité absolue mais dans un monde qui attend des générations futures une action responsable. Cette action responsable nous ne pouvons le faire qu'en intégrant les nouvelles technologies dans une forme de solidarité, mot qui en a remplacé un autre plus lourd de significations: l'intérêt général.

Aujourd'hui l'idéal démocratique, qui fait du citoyen un homme actif et responsable dans la vie politique, est encore une conquête et non pas un acquis. La « liberté, l'égalité, la fraternité » sont loin en effet d'être devenus réalités. Et c'est pourquoi il faut encore y croire, car le politique est bien plus objet de croyance que de savoir. La place prépondérante de la religion dans la cité grecque en est un des parfaits exemples. Aussi la période charnière qui est la nôtre nous laisse de nombreuses perspectives d'avenir. Nous pouvons faire le choix de garder encore espoir dans l'idéal démocratique et parfaire nos institutions politiques. Mais cela ne peut se faire qu'à travers une seule idée : la participation. Cette participation n'est pas seulement une participation au vote mais aussi une participation de chacun dans la sphère politique. Et internet nous en donne actuellement le pouvoir.

Pour autant cette action ne peut être univoque. État doit aussi rétablir le lien, aujourd'hui rompu, entre lui et le citoyen. Son silence dogmatique lors des manifestations, l'impossibilité d'engager un véritable dialogue et d'expliquer les décisions prises doivent être sanctionnée, car il est potentiellement dangereux pour les deux entités. La nouvelle génération se doit aussi d'être consciente de ce que signifie servir l'État et servir la démocratie. L'intérêt général doit au moins idéalement être la mesure de toute action politique. Si nous y arrivons, peut-être aurons-nous enfin acquis ce « supplément d'âme » que Bergson appelait de ses vœux.

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