Ce 28 novembre, le journalisme s'est affublé d'une nouvelle chimère du nom de Wikileaks. Monstrueuse, elle l'est comme toutes les autres, mais sa transparence laisse présager une nouvelle forme d'oppression. Qu'adviendra t-il donc du journalisme sous Wikileaks?
"Une bête monstrueuse", voici comment Baudelaire définissait la Chimère dans Le Spleen de Paris. Pour éviter le regard de l'homme, elle se campe sur son dos l'enveloppant et l'opprimant de "ses muscles élastiques et puissants". Ce
monstre, idéal de nos fantasmes et de nos oppressions, n'omet personne
et encore moins le journalisme. Chantre de la liberté d'expression et de
la transparence, il en a trouvé une à sa mesure. Mais bien lourde à
porter, elle se matérialise et prend forme sous le nom d'un site
Wikileaks. Qu'est-elle donc? Virtuelle, elle se veut transparente et
porte sa monstruosité dans les failles de la démocratie, grignote à
chaque instant les organes officiels des états démocratiques et ouvre la
plaie sans ménagement. Ce n'est pas une bête réflichissante, c'est une
bête de l'action. A l'inverse du citoyen passif, la bête transparente se
veut active, donnant scoup et spectacle sans octroyer pour autant de
remède. Elle fait oublier l'ancienne chimère attachée avec fierté au dos
du journalisme.
Il
fut un temps, le journaliste avait bien pour idéal d'être "l'ami du
peuple", le médiateur entre l'état et le citoyen, le chantre de la
démocratie. De fait, il s'attachait à défendre une image de lui même en
accord avec ses principes: Justicier au grand coeur, redresseur de
torts, le journaliste a eu bien des casquettes quelques peu
présomptueuses mais aucune ne lui fut préjudiciable. Ses chimères alors
se justifiaient dans les mots d'Albert Londres :"Le métier de journaliste est de porter la plume dans la plaie".
Pour que cela se fasse, il fallait un travail d'investigation acharné,
de recherche aussi des sources et des auteurs. La plume était alors
capricieuse et c'est avec adresse qu'il fallait la manier, faute de quoi
le billet restait sans lendemain. Cette chimère a aujourd'hui disparu.
Elle ne s'est pas complètement volatilisée mais s'est éteinte, non pas
que le journaliste n'en veule plus, mais un certain laissez-aller, une
perte de passion journalistique, une perte de sens de la profession à
entraîner la déliquescence de la bête. Le journaliste s'est mûré en lui
même, ne parlant de démocratie, il a préféré la liberté de la presse et
la transparence. Regrettons à jamais cette monstrueuse mais belle
chimère d'un autre temps.
Aujourd'hui
la bête est Wikileaks, nous l'avons dit. Mais si elle fonde le travail
journalistique, elle l'a déjà surpasser, lui faisant perdre son sens et
sa légitimité. Car que signifie publier des informations en portant
Wikileaks sur son dos? C'est proprement faire du copier-coller. C'est
déplacer quelques infimes partie de la bête, choisir les meilleurs
morceaux et les faire fructifier dans une analyse rondement menée. Et
cela fait partie de la, excusez-moi du terme, nouvelle "mission
journalistique. C'est alors que l'homme de plume, cherche, gêné, à faire
tomber sa chimère. Il veut légitimer son action. Nous l'avons analyser,
disent-ils, avant de vous le donnez, nous avons donc fait preuve de
"discernement". Il est néanmoins difficile de ne pas remarquer que la
bête, loin de tomber, resserre ses griffes sur son dos et commence à
s'étendre, inaltérable et envahissante. Elle n'est plus seulement une
simple source dans laquelle le journaliste puise son inspiration, elle
est pour ainsi dire la source dans laquelle il se noit. Wikileaks s'est
engouffré dans la brêche que le journalisme avait ouvert entre lui et
la démocratie. Il y a apporté la gangraine. il s'est alors fait à la
fois son remède, sa raison d'être,son maître et sa chimère.
"Aucun
de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à
son cou et collée à son dos, on eut dit qu'il la considérait comme
faisant partie de lui-même."Baudelaire A chacun sa chimère Le Spleen de Paris
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