Infiltré dans la peau d'une tunique bleue, ou Agent des Services Hospitaliers, l'îlot politique enquête sur ce monde en crise.
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Au service de l'hôpital
Hôpital
André Grégoire, Seine Saint Denis, 6 heures et demi du matin. Je me
dépêche de monter les étages, ma tunique bleue à la main. Arrivée dans
le service, je me faufile aux vestiaires, et en ressort dix minutes
après, parée pour 8 heures de travail. Chargé dés le matin de distribuer
le petit déjeuner des patients, de faire le ménage de leurs chambres et
les 'courses' ou la quête des divers produits médicaux demandés par les
médecins, l'ASH ou Agent des services hospitaliers fait partie
intégrante de la chaîne qui régit l'hôpital public. Il est cependant
loin d'être perçu comme tel. Les données du ministère de la santé ne le
mentionnent même pas. Une carence à l'origine d'un indicible sentiment
de frustration de la part de ce personnel, qui sût corps et âme pour le
service public. Dans les faits, elle se traduit par l'indifférence ou le
mépris de certains membres du corps médical.Dans les couloirs, un
mèdecin peut très bien ne pas vous dire bonjour, cela ne le gêne pas.
Vous, c'est une autre histoire.
Ce
n'est en effet que le reflet d'un monde cloisonné autour d'une
hiérarchie très codifiée: Les médecins sont en blouses blanches, les
cadres en tenues jaunes pâles, les infirmières en jaune, les aides
soignants en vert et enfin les ASH, peu qualifiés, sont en bleu. Chaque
couleur correspond à un monde et...il faut bien le dire à une couche
sociale. Mais certaines tendent à se confondre. Mlle K., ma collègue,
aide soignante, ancienne ASH, m'a dit un jour de dépit: « Bleus et verts, c'est pareil. La direction ne nous écoute pas ».
Si ce personnel qualifié de « petit », se sent délaissé, isolé et
ignoré, c'est que la direction de l'hôpital ne fait rien non plus pour
les y intégrer. La majorité des ASH que j'ai rencontré sont en Contrat à
Durée Déterminé, renouvelable tous les trois mois, alors qu'ils
occupent cette fonction depuis déjà trois à quatre ans. Une situation à
la limite de la légalité encourageant à la fois la précarité et la
politique financière d'un hôpital public, en proie à des déficits
croissants. Sombrer dans une logique de rentabilité pour cette ancienne « domus hospitalis » ou maison des hôtes, n"est-ce pas un comble?
Hôpital public, hôpital en faillite?
Construit
par les neufs communes de la petite couronne de Paris en 1965,
l'hôpital André Grégoire de Montreuil a une dimension quasi
départemental, comptabilisant 379 lits. Il souffre néanmoins d'un budget
déficitaire en perpétuelle augmentation: Comme actuellement la majorité
des hôpitaux publics de santé, il se trouve pris dans des difficultés
structurelles, avec des ressources qui stagnent ou qui baissent, des
dépenses qui ne cessent d'augmenter en raison du vieillissement de la
population et de l'envolée des techniques médicales.
Par
ailleurs, L'hôpital se définie aussi comme un hôpital de banlieue et
comme tel, il reste enclavé en Seine Saint Denis. Aussi l'établissement
est très mal relié aux différentes communes de son secteur: Si les bus
ne manquent pas, il faut plus d'une correspondance pour rejoindre la
banlieue proche. Peu attractif de fait pour le personnel de santé et
pour la population des communes voisines, cet établissement souffre de
son isolement: Il est malheureusement courant qu'une infirmière soit à
plus d'une heure de son lieu de travail. Des conditions qui en font
partir plus d'une dans des hôpitaux ou des cliniques proches de leurs
domiciles.
Les
réponses de la direction pour pallier ces problèmes sont loin d'être
jugées satisfaisantes par le personnel. Celle ci cherche, en effet, à
restreindre l'embauche et à diminuer les effectifs. Une politique à
court terme et impossible à gérer au quotidien comme nous l'explique ma
collègue Y., qui dresse un verdict sans appel de la condition
hospitalière:« L'état de l'hôpital se dégrade. Il y a 30 ans quand
j'ai commencé, nous étions un ASH pour 8 chambres et si la surveillante
passait et qu'il y avait de la poussière, elle nous demandait de
recommencer. Aujourd'hui nous sommes tous seuls pour 18 chambres. Il est
impossible d'avoir la même qualité comme nous le demande la
direction. » Une
exigence toujours accrue de qualité pour un besoin de rentabilité
croissant; les contradictions à l'hôpital ne manquent pas.
Celles
ci se concrétisent par ailleurs dans le développement d'un nouveau pôle
« Femme/Enfant » sur les façades de l'hôpital, opérationnel en 2011. Si
l'hôpital s'agrandit, on pourrait croire qu'il va bien. Cependant cette
rhétorique ne semble pas marcher dans le monde hospitalier. Le nouveau
pôle n'a été construit que pour améliorer le rendement de l'hôpital en
matière de soins, non pour embaucher plus de personnel. C'est d'ailleurs
sur avis de conseillers privés que l'hôpital public fonctionne
aujourd'hui. Cette situation paraît en accord avec la politique étatique
qui consiste actuellement à lier les modes de fonctionnement des
établissements privés et publics. Situation qui pose la question du
devenir de l'hôpital public et celui de sa confiance. A force de renier
sur les dépenses, l'hôpital s'est aliéné à la fois le personnel et les
patients. Une crise de confiance qui risque, si personne ne fait rien,
de durer.
Peut-on encore avoir confiance en l'hôpital public?
La
question reste légitime. Considéré en 2000, comme l'un des meilleurs
pays en matière de santé publique, la France est aujourd'hui sur le
rebours. Beaucoup choisissent les cliniques privés au détriment du
public. Un choix qui sanctionne une politique étatique menée par une
logique financière implacable. Reste que les premiers concernés sont le
personnel hospitalier qui voit ses conditions de travail se dégrader
mais aussi les patients, dont la qualité de soins s'amoindrit. Cette
logique néanmoins en dissimule une autre, beaucoup plus naturel à
l'hôpital: celle de la solidarité et de la démocratie.
On
oublie trop souvent qu'il est impossible de sacrifier la santé d'un
pays. Je ne crois pas aux sacrifices et encore moins à ceux qui sont
faits au nom d'une politique financière. C'est pourquoi je pense qu'il
faut garder confiance en l'hôpital public, en cet endroit où toute
personne à accès aux soins, quelque soient ses origines et ses revenus.
C'est encore plus vrai pour l'hôpital de Montreuil. Si l'on peut y
croiser à la fois des peintres bobos et des gitans, des filles d'Europe
de l'est et des professeurs, c'est que la santé reste encore un des
symboles de notre système démocratique. Préserver cette richesse de
l'hôpital public, c'est aussi préserver une certaine idée de la France.
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