Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

lundi 29 novembre 2010

Tuniques bleues en colère

 Infiltré dans la peau d'une tunique bleue, ou Agent des Services Hospitaliers,  l'îlot politique enquête sur ce monde en crise.

 

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Au service de l'hôpital

Hôpital André Grégoire, Seine Saint Denis, 6 heures et demi du matin. Je me dépêche de monter les étages, ma tunique bleue à la main. Arrivée dans le service, je me faufile aux vestiaires, et en ressort dix minutes après, parée pour 8 heures de travail. Chargé dés le matin de distribuer le petit déjeuner des patients, de faire le ménage de leurs chambres et les 'courses' ou la quête des divers produits médicaux demandés par les médecins, l'ASH ou Agent des services hospitaliers fait partie intégrante de la chaîne qui régit l'hôpital public. Il est cependant loin d'être perçu comme tel. Les données du ministère de la santé ne le mentionnent même pas. Une carence à l'origine d'un indicible sentiment de frustration de la part de ce personnel, qui sût corps et âme pour le service public. Dans les faits, elle se traduit par l'indifférence ou le mépris de certains membres du corps médical.Dans les couloirs, un mèdecin peut très bien ne pas vous dire bonjour, cela ne le gêne pas. Vous, c'est une autre histoire.

Ce n'est en effet que le reflet d'un monde cloisonné autour d'une hiérarchie très codifiée: Les médecins sont en blouses blanches, les cadres en tenues jaunes pâles, les infirmières en jaune, les aides soignants en vert et enfin les ASH, peu qualifiés, sont en bleu. Chaque couleur correspond à un monde et...il faut bien le dire à une couche sociale. Mais certaines tendent à se confondre. Mlle K., ma collègue, aide soignante, ancienne ASH, m'a dit un jour de dépit: « Bleus et verts, c'est pareil. La direction ne nous écoute pas ». Si ce personnel qualifié de « petit », se sent délaissé, isolé et ignoré, c'est que la direction de l'hôpital ne fait rien non plus pour les y intégrer. La majorité des ASH que j'ai rencontré sont en Contrat à Durée Déterminé, renouvelable tous les trois mois, alors qu'ils occupent cette fonction depuis déjà trois à quatre ans. Une situation à la limite de la légalité encourageant à la fois la précarité et la politique financière d'un hôpital public, en proie à des déficits croissants. Sombrer dans une logique de rentabilité pour cette ancienne « domus hospitalis » ou maison des hôtes, n"est-ce pas un comble?

Hôpital public, hôpital en faillite?


Construit par les neufs communes de la petite couronne de Paris en 1965, l'hôpital André Grégoire de Montreuil a une dimension quasi départemental, comptabilisant 379 lits. Il souffre néanmoins d'un budget déficitaire en perpétuelle augmentation: Comme actuellement la majorité des hôpitaux publics de santé, il se trouve pris dans des difficultés structurelles, avec des ressources qui stagnent ou qui baissent, des dépenses qui ne cessent d'augmenter en raison du vieillissement de la population et de l'envolée des techniques médicales.

Par ailleurs, L'hôpital se définie aussi comme un hôpital de banlieue et comme tel, il reste enclavé en Seine Saint Denis. Aussi l'établissement est très mal relié aux différentes communes de son secteur: Si les bus ne manquent pas, il faut plus d'une correspondance pour rejoindre la banlieue proche. Peu attractif de fait pour le personnel de santé et pour la population des communes voisines, cet établissement souffre de son isolement: Il est malheureusement courant qu'une infirmière soit à plus d'une heure de son lieu de travail. Des conditions qui en font partir plus d'une dans des hôpitaux ou des cliniques proches de leurs domiciles.

Les réponses de la direction pour pallier ces problèmes sont loin d'être jugées satisfaisantes par le personnel. Celle ci cherche, en effet, à restreindre l'embauche et à diminuer les effectifs. Une politique à court terme et impossible à gérer au quotidien comme nous l'explique ma collègue Y., qui dresse un verdict sans appel de la condition hospitalière:« L'état de l'hôpital se dégrade. Il y a 30 ans quand j'ai commencé, nous étions un ASH pour 8 chambres et si la surveillante passait et qu'il y avait de la poussière, elle nous demandait de recommencer. Aujourd'hui nous sommes tous seuls pour 18 chambres. Il est impossible d'avoir la même qualité comme nous le demande la direction. » Une exigence toujours accrue de qualité pour un besoin de rentabilité croissant; les contradictions à l'hôpital ne manquent pas.

Celles ci se concrétisent par ailleurs dans le développement d'un nouveau pôle « Femme/Enfant » sur les façades de l'hôpital, opérationnel en 2011. Si l'hôpital s'agrandit, on pourrait croire qu'il va bien. Cependant cette rhétorique ne semble pas marcher dans le monde hospitalier. Le nouveau pôle n'a été construit que pour améliorer le rendement de l'hôpital en matière de soins, non pour embaucher plus de personnel. C'est d'ailleurs sur avis de conseillers privés que l'hôpital public fonctionne aujourd'hui. Cette situation paraît en accord avec la politique étatique qui consiste actuellement à lier les modes de fonctionnement des établissements privés et publics. Situation qui pose la question du devenir de l'hôpital public et celui de sa confiance. A force de renier sur les dépenses, l'hôpital s'est aliéné à la fois le personnel et les patients. Une crise de confiance qui risque, si personne ne fait rien, de durer. 

Peut-on encore avoir confiance en l'hôpital public? 


La question reste légitime. Considéré en 2000, comme l'un des meilleurs pays en matière de santé publique, la France est aujourd'hui sur le rebours. Beaucoup choisissent les cliniques privés au détriment du public. Un choix qui sanctionne une politique étatique menée par une logique financière implacable. Reste que les premiers concernés sont le personnel hospitalier qui voit ses conditions de travail se dégrader mais aussi les patients, dont la qualité de soins s'amoindrit. Cette logique néanmoins en dissimule une autre, beaucoup plus naturel à l'hôpital: celle de la solidarité et de la démocratie.

On oublie trop souvent qu'il est impossible de sacrifier la santé d'un pays. Je ne crois pas aux sacrifices et encore moins à ceux qui sont faits au nom d'une politique financière. C'est pourquoi je pense qu'il faut garder confiance en l'hôpital public, en cet endroit où toute personne à accès aux soins, quelque soient ses origines et ses revenus. C'est encore plus vrai pour l'hôpital de Montreuil. Si l'on peut y croiser à la fois des peintres bobos et des gitans, des filles d'Europe de l'est et des professeurs, c'est que la santé reste encore un des symboles de notre système démocratique. Préserver cette richesse de l'hôpital public, c'est aussi préserver une certaine idée de la France.

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