Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

lundi 19 novembre 2012

" La réponse est oui, mais quelle était la question?" [Woody Allen]


La NASA
Un orchestre
Narcisse
L'oenologie
Une coupole
La traite
Homeland
l'Espagne
Un encéphalogramme
Alain Poher
Les claquettes

Avouez, cette énumération vous laisse dubitatifs. Qu'est ce donc? Une liste de courses? Une liste à la Prévert? Une énigme? Un jeu d'association d'idées? Et bien non, rien de tout cela. Il s'agit en fait des premières réponses aux questions de l'émission "Questions pour un champion" du 16 novembre 2012, diffusée sur France 3. Oui mais voilà... Sans les questions qui vont avec, difficile de savoir de quoi l'on parle n'est ce pas?

Ceci, je le pense, peut et doit s'appliquer au journalisme, à la politique et a fortiori au journalisme politique. Trop souvent on nous présente uniquement les réponses des personnes interrogées, sans d'ailleurs savoir qu'il s'agit d'une réponse à une question. Et ces réponses, reprises en boucle, d'un média à un autre, tendent à devenir une déclaration à part entière plutôt qu'une réponse. "Pourquoi jouer sur les mots?" Me dirait-on, après tout c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Je ne le crois pas. Quand on sort une phrase de son contexte on loupe toujours quelque chose, on perd toujours un peu du sens.

Prenons un exemple pour mieux comprendre : celui des polémiques politiques. Un tel fait une déclaration, un autre réagit à ce propos, puis un autre, puis un autre, chacun donnant son avis, l'affaire gagnant l'ensemble de la sphère politique. Est-ce aussi simple? On oublie souvent, car cela est rarement mentionné, que les réactions sont souvent le fruit d'une question, par exemple : "Que pensez-vous des déclarations de Monsieur Untel?". Un premier problème surgit alors : l'homme politique aurait-il pris position de lui-même si on ne lui avait pas posé la question? Second problème, la question posée influe-t-elle sur la réponse donnée? Nous touchons du doigt ici une problématique qui n'est pas sans rappeler celle de l'œuf et de la poule : savons nous en effet si ce sont les politiques qui se servent des médias (à des fins politiques donc), ou si ce sont les médias qui se servent des politiques (pour rechercher le scoop ou faire le buzz)? Autrement dit, est-ce que le journaliste pousse l'homme politique à prendre position en posant sa question, ou est ce que l'homme politique se sert des médias comme tribune en feignant de répondre à une simple question? Et est-ce que la question posée importe peu, puisque l'homme politique veut avant tout faire passer un message devant la caméra, ou est-ce que le journaliste cherche à obtenir une réponse bien précise de l'homme politique en orientant sa question? C'est un débat qu'à mon sens nous ne sommes pas près de résoudre, car il y a certainement un peu des deux.



Nous pouvons tout de même affirmer que la question posée influe sur la réponse et qu'en cela il est impératif de la connaître pour être bien informé. Quiconque s'intéresse aux méthodes de sondage en conviendra, la question fait tout. Prenons l'exemple de la conférence de presse de François Hollande de mardi dernier, et du sondage BVA publié par le Parisien le surlendemain. Il est tout d'abord intéressant de noter que les questions posées dans ce sondage ne nous sont pas données, mais se déduisent à peu près des réponses. "Avez-vous trouvé François Hollande convaincant?". Voici une question pour le moins vague. Convaincant par rapport à quoi? Sur quel point? Et qu'est-ce que vous entendez par convaincant? Je vais exposer ici une hypothèse personnelle : Il me semble que plus une question sur un homme politique est vague ou au contraire plus elle est techniquement compliquée, alors plus elle revient à demander "Aimez-vous cet homme politique?", ce qui peut fausser largement l'interprétation des résultats. D'autre part, les instituts de sondage semblent en mesure de prévoir à peu de chose près quel type de réponse qu'ils pourront obtenir en posant telle ou telle question, et de choisir en fonction. Voilà qui illustre parfaitement les propos de Woody Allen dans le titre. Rappelez-vous il y a quelques mois quand Georges Papandréou, alors à la tête de la Grèce, voulait organiser dans son pays un référendum sur la sortie de crise proposée par l'Europe, référendum qui n'a finalement pas eu lieu. Tout le problème résidait alors dans la question que l'on allait (ou pas) poser aux Grecs. Schématiquement, allait-on leur demander "Etes-vous d'accord avec les mesures proposées par l'Europe pour sortir de la crise?" ou bien "Voulez-vous sortir de l'Europe?". Deux questions qui étaient liées car refuser les mesures de l'Europe c'était alors s'en détacher, mais l'on pressent bien que les réponses auraient été bien différentes en posant l'une ou l'autre de ces questions.

Tout cela pour dire que pour être bien informé, il faudrait dans l'idéal préciser partout que telle personne répondait à telle question quand elle a dit cela. Or cela passe bien trop souvent à la trappe. Parfois on trouve mentionné "interrogé sur tel sujet, Monsieur X a déclaré...", mais cela reste rare et encore vague. A ce titre, l'émission qui est, à mon sens, une des plus honnête à ce sujet reste Le Petit Journal de Canal+. Certains prétendent qu'ils ne font pas du journalisme, toujours est-il que lors de leurs micro trottoirs, on entend presque toujours la question qui est posée aux personnes à qui l'on tend le micro.

Mais pourquoi les questions posées ont-elles ainsi tendance à disparaître? On serait tenté de penser que cela vient de la multiplication des formats courts où l'on prétend aller à l'essentiel. L'essentiel, c'est-à-dire ce que disent les personnes interrogées. On peut penser également que le journaliste ne considère pas sa question digne d'intérêt, et que seule la réponse compte, et dans ce cas il aurait bien tort car il est des questions très pertinentes auxquelles on répond par de la langue de bois. Enfin pourrait penser au contraire que le journaliste n'estime pas devoir être jugé et/ou critiqué par l'opinion publique. Et encore une fois il aurait bien tort. Le public a le droit de considérer une déclaration d'un homme politique brillante ou complètement idiote, comme il a le droit de juger la question posée, brillante ou complètement idiote, c'est selon.

Pour conclure je dirais donc que la réponse est oui, mais quelle était la question déjà?

vendredi 16 novembre 2012

La conférence de presse de François Hollande en (quelques) chiffres

Depuis la conférence de presse de mardi derniers, les mots du Président de la République ont été repris en boucle dans les médias. Quoi de plus naturel? Mais dans "conférence de presse" il y a "presse", et qui dit "conférence de presse" dit questions. Voici donc quelques statistiques compilées pour analyser cet évènement du côté des journalistes.





40 minutes et 40 secondes

C'est le temps qu'a duré le discours d'introduction de François Hollande.




400

C'est le nombre de journalistes qui étaient présents ce jour là dans la salle des fêtes de l'Elysée.

Et parmi ces 400 journalistes, 33 seulement ont pu poser une question.



Difficile de savoir si la parité était respectée parmi les 400 journalistes, c'est en revanche plus facile si l'on s'intéresse aux journalistes ayant posé une question. [valeurs absolues : hommes : 23 ; femmes : 10]


Parmi les questions posées, certaines venaient de journalistes télé, d'autres de journalistes de presse ou de radio, ou encore du web. Voici la répartition. [valeurs absolues : Télévision : 10 ; Presse : 10 ; Radio : 5, Web : 2 ; Journalistes ne s'étant pas présentés : 5 ; Journaliste freelance : 1]



Voici maintenant la répartition des questions posées en fonction de l'affiliation des journalistes à tel ou tel média  :
                                



De ce tableau nous pouvons déduire d'autres chiffres sur les médias représentés par les journalistes ayant posé une question :

[valeurs absolues : service public : 8 ; privé/indépendants : 16 ; international : 3. Les journalistes ne s'étant pas présenté et les journalistes freelance n'ont pas été comptabilisés]


[valeurs absolues : France Télévision : 2 ; Autres chaînes publiques : 3 ; Radio France : 3 ; Radios privées indépendantes : 1 ; Groupe Lagardère : 2 ; Groupe Bouygues : 1 ; Groupe NextRadio TV : 1 ; Edouard de Rothshild : 1 ; Groupe Perdriel : 1 ; Groupe Canal+ : 1 ; Socpresse : 1 ; Groupe Amaury : 1, Groupe Le Monde : 2 ; Indépendants Web : 2 ; AFP : 1 ; International : 3.]


Enfin, nous pouvons voir par l'intermédiaire de ce tableau les thèmes qui ont été abordés par les questions lors de cette conférence de presse :



Tout cet exposé de chiffres part d'une remarque toute simple. Alors que la plupart des commentateurs s'évertuent à décrypter les propos du Président de la République, nous pensons nous qu'une analyse des réponses, pour être complète, appelle de fait une analyse des questions.

jeudi 15 novembre 2012

Concerto à la mémoire d’un ange d'Eric-Emmanuel Schmitt


Prix Goncourt de la nouvelle 2012, le "Concerto à la mémoire d'un ange" d’Eric-Emmanuel Schmitt interroge: Avons-nous le pouvoir de changer notre vie? 



Dans ce livre de nouvelles du prolifique auteur Eric-Emmanuel Schmitt se joue une curieuse mélodie en quatre actes, alternance d'admiration et de haine, d'amour et de poisons, de meurtres et de désirs. Aucune fausse note n'interrompt ce concerto qui s’amuse à déjouer toutes les partitions possibles pour improviser autour d’une même gamme : Sainte Rita. Qui peut-elle bien être ? « Une femme » nous dit Catherine, première dame de France que la passion pour son mari déchire. A travers Rita, conciliatrice des mœurs, musicienne de l’impossible, c'est l’humanité qui soudain apparaît capable d’inverser son destin. En somme, « sommes-nous libre de changer? ». Si le docteur en philosophie répond par l'affirmative, l’auteur, lui, cherche les nuances et trouve, dans ce livre, la tonalité juste. 

samedi 10 novembre 2012

Des fleurs pour Algernon


Que feriez-vous si l'on vous donnait la possibilité de devenir intelligent? Plus que cela, de devenir très intelligent, plus intelligent que tout le monde, un vrai génie? Et que feriez-vous si ce don vous était enlevé?





Le Studio des Champs Elysées joue actuellement la pièce Des fleurs pour Algernon, tiré du roman du même nom écrit par Daniel Keyes. Disons le tout de suite, cette pièce est une franche réussite.

Algernon est une petite souris de laboratoire. Deux scientifiques reconnus ont voulu tester sur elle une opération visant à accroître son intelligence. Les résultats sont époustouflants et incitent les scientifiques à passer aux tests humain. Charlie Gordon est le sujet choisi pour l'expérience, son QI ne dépasse pas 68 et il se fait régulièrement battre par la petite souris, devenue intelligente, lors du test du labyrinthe. Mais il a une grande envie d'apprendre, une envie stimulée par Miss Kinian, sa charmante professeur qui lui enseigne la lecture et l'écriture. L'opération est un succès! Progressivement Charlie devient intelligent, plus intelligent que tout le monde. Il découvre le monde en même temps que le savoir, la connaissance, et même l'amour auprès de Miss Kinian, devenue Alice. Mais un jour, la petite souris décline, régresse et finit par mourir. Dans quelle mesure les destins de Charlie et d'Algernon sont ils liés? Que peut-on faire quand l'on sait que l'on va redevenir bête, et que rien ne l'empêchera?

Voici pour l'intrigue, cette dernière étant magnifiquement servie par une mise en scène bien pensée. Gregory Gadebois, l'acteur pensionnaire de la Comédie Française, est seul en scène et réussit la remarquable performance de faire vivre à lui tout seul l'histoire et les différents personnages à travers l'oeil d'un Charlie plus que convaincant, bouleversant. La scène est étroite, carrée, entourée de projecteurs aux fils apparents, c'est la cage scientifique à travers laquelle Charlie est observé. Cette scène, c'est également la tête de Charlie Gordon, brouillonne, désordonnée, une véritable cage en elle-même, mais aussi un poste d'observation à partir duquel il regarde les autres. Cette mise en scène particulière réussit le tour de force de nous faire rentrer dans le cerveau de ce personnage, là où tout se passe. Assis sur sa chaise, Charlie Gordon nous raconte alors à sa manière ce qu'il lui arrive, seul. Car la solitude de l'acteur sur scène est un reflet de la condition de son personnage, éternellement "inadapté", ce sont ces termes. Bête, il est mis à l'écart. Intelligent, il les surpasse tous. Les autres, il ne peut les croiser que deux fois, brièvement, une fois en montant, une autre fois en redescendant.

Cette histoire particulière donne lieu à des moments touchants mais aussi à des instants de rire, dus à la fois à la gentille naïveté de l'homme simple et à la condescendance du génie, le tout très justement interprété par Gregory Gadebois. On retrouve à certains moments ce procédé critique et humoristique qu'avait déjà utilisé Montesquieu en son temps dans Les lettres persanes. Charlie Gordon devenu intelligent s'apparente ainsi à un étranger découvrant un nouveau monde et ses moeurs étranges. Le long et savoureux passage du décryptage de la bise en est un parfait exemple.

"Des fleurs pour Algernon" explore donc le double cheminement d'un homme simple devenant un génie, et celui d'un génie régressant jusqu'à devenir simple. Mais plus que dans ce processus, c'est dans les relations avec les autres personnages, ceux qui ne sont pas là, que cette pièce réussit à nous émouvoir le plus. Grégory Gadebois, formidable dans ce rôle, réussit d'ailleurs à nous faire oublier qu'il est seul en scène, et lorsqu'on se mêle à la foule qui sort du théâtre et qu'on écoute les conversations, on ne peut que constater que cette prestation a fait l'unanimité.

"Des fleurs pour Algernon" est une pièce adaptée du roman du même nom par Gérald Sibleyras, mise en scène par Anne Kessler et jouée par Grégory Gadebois. Elle se joue au Studio des Champs Elysées à Paris jusqu'au 31 décembre 2012, à voir absolument!

mardi 30 novembre 2010

De l'îlot politique à Paroles en l'ère: la fin d'un blog

L'ensemble de ces articles proviennent d'un blog, aujourd'hui fermé, appelé "ilot politique", qui avait vu le jour pendant l'année 2010. Paroles en l'ère assure la survivance des articles écrits par l'un des ses membres, articles qui, après deux années, n'ont pas tout perdu de leur actualité.  

 

 "Nous ne nous engageons jamais que dans des combats discutables, sur des causes imparfaites. Refuser pour autant l'engagement, c'est refuser la condition humaine"

 

Nous, en tant que Français et Européens, peut-on comprendre ces quelques mots d'Emmanuel Mounier? Peut-on vraiment apprécier à sa juste valeur la proclamation d'un Absolu, d'un caractère nécessaire à l'humanité sans le prendre pour une antiquité, une folie ou pire du vent? En fait, y trouve t-on encore du sens? L'îlot politique enquête.  



Si l'engagement a d'abord une valeur politique (par politique, je n'entends pas la politique, comprise comme l'art du discours mais le politique, c'est-à-dire ce qui nous fait vivre ensemble, ce qui nous maintient dans une société donnée, ce qui nous rassemble et nous régit), s'engager c'est aussi une action, une dynamique imposée à soi même, portée vers l'autre, ayant une direction, un sens. Si le pessimisme ambiant est prêt à nous trouver maints raisons de ne plus espérer, de rester chez soi, de ne plus s'engager, si nous sommes sans repères dans une société où l'économie dirige le politique, il n'y a rien qui nous empêche de renverser la tendance. Rien sauf l'irresponsabilité, l'indifférence ou le cynisme.

Rassurez vous, ce blog n'a pas pour but d'imposer une leçon de civisme ou de patriotisme, il ne prétend pas non plus vouloir rassembler les masses, mais il n'a qu'une seule vocation, celui de comprendre quel peut être aujourd'hui le sens du politique, le sens d'une France,d'une Europe, d'un rêve, porté par les Anciens qu'il se nomme De Gaulle ou Jean Monet.C'est pour cela qu'il peut être considéré comme un îlot, un espace isolé du monde mais irrévocablement dedans. Pour retrouver un sens au politique, il suffit avant tout d'y croire.

Alors créer un blog, l'appeler "îlot politique", et le publier, est ce suffisant? Non, bien sûr, rien de ce qui peut être publié individuellement sur internet ne peut suffire à s'engager dans le politique, à trouver un sens. Mais c'est un début, une esquisse, une première réflexion à partager ensemble simplement. En tant que responsable du site, je vous souhaite donc la bienvenue.

lundi 29 novembre 2010

Europe, quand tu nous tiens

« Il nous faut plus d'Europe », Telle est la leçon que les politiques tirent de la crise. Dans la noirceur ambiante de nos quotidiens, le rêve européen paraît renaître. Illusion ou réalité? Comment rêvons nous l'Europe politique...

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Il est cinq heures. Le soleil est au beau fixe en France et plus aucun nuage ne cache l'enthousiasme des bureaucrates de notre chère Europe. C'est que les choses bougent dans le vieux continent. Un vent de dynamisme semble, en effet, s'être emparés des politiques:Les rencontres aux plus hauts sommets se succèdent et la mesure phare: le déblocage de milliards d'euros en faveur de la Grèce et des pays en difficulté de la zone euro, est finalement lancée .... L' Europe ferait-elle enfin preuve de solidarité, et osons le mot de politique? Dans les faits, deux figures la dominent : Angela Merkel, la chancelière allemande et Wolfgang Schäuble, son ministre des finances. A eux seuls, ils prennent en main l'ensemble de la politique financière de l'Union. Parmi leurs propositions se trouvent entre autres, la suppression des CDS (Credit Default Swapp), l'interdiction des ventes d'emprunts d'états à découvert, ou encore la prise en charge des budgets souverains par l'Union. Ainsi le train des réformes est en marche et C'est l'Allemagne qui en a les commandes. A côté, ses voisins font pâles figures et pourraient même être accusés de plagiat. Nicolas Sarkozy, en est, parmi d'autres,un bel exemple.  En voulant inscrire le taux de déficit public dans la Constitution, il ne fait en effet que suivre les directives de sa partenaire allemande, précurseur de la mesure.

Imprégnés de ce nouveau dynamisme réformateur, certains iraient même jusqu'à rêver d'une Europe puissante, gouvernant les marchés. L' Europe, après soixante ans d'existence, serait-elle enfin arriver au consensus communautaire, à cette « fusion des intérêts » si chère à Jean Monnet? Rien n'est moins sûr.

L'Allemagne, moteur de l'Union?


Si l'Allemagne paraît être le moteur de l'Union, elle est bien seule. Le représentant de la deuxième puissance européenne, Nicolas Sarkozy rencontre de réelles difficultés pour faire accepter sa nouvelle mesure et force est de constater qu'un voile oppressant immobilise actuellement le débat politique français. Quant à la Grande Bretagne, son visage est plus eurosceptique que jamais avec David Cammeron, fraîchement élu à la tête du gouvernement anglais. Dans ces conditions peut-on reprocher à l'Allemagne d'agir seule? Évidemment non. Mais il est toujours possible de critiquer sa méthode. Revenons sur la suppression de ces fameux CDS. Instruments de tarification financière, ces crédits sont aussi des outils majeurs de la spéculation. Dans la matinale de France Inter du 21 mai, Susan Georges, auteur de Leurs Crises, nos solutions, fait une brillante analogie des CDS avec les fraudes à l'assurance. « C'est comme, assure t-elle, la permission de vendre quelque chose qu'on ne possède pas; je prends une assurance sur votre maison, j'y mets le feu, votre maison n'existe plus et je collecte l'assurance... Il fallait les interdire... » . Mais si Angela Merkel semble avoir raison sur le fond, la forme n'y est pas. Ce n'est en effet ni dans les bourses de Paris ou de Francfort que ces crédits pullulent mais dans celles de New York ou de Londres. Conscrite au cadre européen, la mesure risque donc d'être obsolète. Alors certes les politiques se démènent, mais on peut se demander si ils le font dans le bon sens!Il n'y a pas si longtemps un brillant observateur faisait remarquer que, pour la première fois, dans une réforme étatique, en l'occurrence la réforme des retraites, le gouvernement français prenait en compte les humeurs du marché et affichait la volonté de s'y soustraire. Nos dirigeants gouverneraient-ils pour les marchés? Décidément quelque chose ne tourne pas rond en Europe. Je dirais même plus: on marche sur la tête. Un acteur fondamental, en effet, reste muet dans l'échiquier européen. Curieusement il est celui qui pâtit le plus de la crise. Bouche cousue, poing lié, le peuple européen reste dans l'ombre. Pourquoi?

Vers une europe démocratique?


Si l'Europe semble prête à une transformation imminente, elle ne va pas forcément dans le sens de la démocratie . Jamais aujourd'hui l'économie n'a autant dirigé le politique. Aucun principe électoral n'est à attendre des marchés financiers. Ce n'est pas leur but. Mais si les politiques peuvent agir seuls, sans accord ni du peuple ni des principes démocratiques, c'est qu'ils croient celui ci impuissant et inutile. En tant que français, ancien peuple émancipateur, le constat est rude. Alors que résonne encore à nos oreilles la ferveur des journées de 1789, de 1848 ou de 1936, nous sommes perdus dans un quotidien en crise, dans une mondialisation où il nous faut chaque jour lutter pour ne pas perdre un peu plus de ce que nous sommes. Même le mot « révolution » fait rire. Les communistes l'ont trop entaché pour y croire encore. Quant aux termes de « manifestation » ou de «grève générale », ils semblent bon à passer aux oubliettes. Et pourtant si l'on réfléchi bien les ressources ne manquent pas. D'après un récent rapport européen, le continent est plus numérisé que jamais. Par Facebook ou Twister, nous communiquons de l'Adriatique à l'Oural. Imaginez une immense manifestation, à l'image de ces apéros géants, où les gens ne seraient non pas liés par l'envie de boire ou de s'amuser mais par un même projet politique, une même envie de changer d'Europe. De réseau à réseau, le mot passerait et ce ne serait non plus la bureaucratie qui s'installerait dans l'Union mais au contraire une véritable démocratie, soutenu par un mouvement populaire européen. Si un démos doit se créer, il doit le faire rapidement, efficacement afin que le rêve de Jean Monnet ou de De Gaulle sorte de la crise, non pas défiguré mais au contraire vivifié. Alors certes nous pouvons nous morfondre dans nos fauteuils comme nous l'avons fait jusqu'ici. Nous pouvons cyniquement rabattre nos fenêtres. Nous pouvons continuer à râler dans le vide. Mais ne manquerions nous pas quelque chose? Une part de soi? Notre raison d'être?L'espoir...

« Nous ne nous engageons jamais que dans des combats discutables, sur des causes imparfaites. Refuser pour autant l'engagement c'est refuser la condition humaine » Emmanuel Mounier.

Tuniques bleues en colère

 Infiltré dans la peau d'une tunique bleue, ou Agent des Services Hospitaliers,  l'îlot politique enquête sur ce monde en crise.

 

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Au service de l'hôpital

Hôpital André Grégoire, Seine Saint Denis, 6 heures et demi du matin. Je me dépêche de monter les étages, ma tunique bleue à la main. Arrivée dans le service, je me faufile aux vestiaires, et en ressort dix minutes après, parée pour 8 heures de travail. Chargé dés le matin de distribuer le petit déjeuner des patients, de faire le ménage de leurs chambres et les 'courses' ou la quête des divers produits médicaux demandés par les médecins, l'ASH ou Agent des services hospitaliers fait partie intégrante de la chaîne qui régit l'hôpital public. Il est cependant loin d'être perçu comme tel. Les données du ministère de la santé ne le mentionnent même pas. Une carence à l'origine d'un indicible sentiment de frustration de la part de ce personnel, qui sût corps et âme pour le service public. Dans les faits, elle se traduit par l'indifférence ou le mépris de certains membres du corps médical.Dans les couloirs, un mèdecin peut très bien ne pas vous dire bonjour, cela ne le gêne pas. Vous, c'est une autre histoire.

Ce n'est en effet que le reflet d'un monde cloisonné autour d'une hiérarchie très codifiée: Les médecins sont en blouses blanches, les cadres en tenues jaunes pâles, les infirmières en jaune, les aides soignants en vert et enfin les ASH, peu qualifiés, sont en bleu. Chaque couleur correspond à un monde et...il faut bien le dire à une couche sociale. Mais certaines tendent à se confondre. Mlle K., ma collègue, aide soignante, ancienne ASH, m'a dit un jour de dépit: « Bleus et verts, c'est pareil. La direction ne nous écoute pas ». Si ce personnel qualifié de « petit », se sent délaissé, isolé et ignoré, c'est que la direction de l'hôpital ne fait rien non plus pour les y intégrer. La majorité des ASH que j'ai rencontré sont en Contrat à Durée Déterminé, renouvelable tous les trois mois, alors qu'ils occupent cette fonction depuis déjà trois à quatre ans. Une situation à la limite de la légalité encourageant à la fois la précarité et la politique financière d'un hôpital public, en proie à des déficits croissants. Sombrer dans une logique de rentabilité pour cette ancienne « domus hospitalis » ou maison des hôtes, n"est-ce pas un comble?

Hôpital public, hôpital en faillite?


Construit par les neufs communes de la petite couronne de Paris en 1965, l'hôpital André Grégoire de Montreuil a une dimension quasi départemental, comptabilisant 379 lits. Il souffre néanmoins d'un budget déficitaire en perpétuelle augmentation: Comme actuellement la majorité des hôpitaux publics de santé, il se trouve pris dans des difficultés structurelles, avec des ressources qui stagnent ou qui baissent, des dépenses qui ne cessent d'augmenter en raison du vieillissement de la population et de l'envolée des techniques médicales.

Par ailleurs, L'hôpital se définie aussi comme un hôpital de banlieue et comme tel, il reste enclavé en Seine Saint Denis. Aussi l'établissement est très mal relié aux différentes communes de son secteur: Si les bus ne manquent pas, il faut plus d'une correspondance pour rejoindre la banlieue proche. Peu attractif de fait pour le personnel de santé et pour la population des communes voisines, cet établissement souffre de son isolement: Il est malheureusement courant qu'une infirmière soit à plus d'une heure de son lieu de travail. Des conditions qui en font partir plus d'une dans des hôpitaux ou des cliniques proches de leurs domiciles.

Les réponses de la direction pour pallier ces problèmes sont loin d'être jugées satisfaisantes par le personnel. Celle ci cherche, en effet, à restreindre l'embauche et à diminuer les effectifs. Une politique à court terme et impossible à gérer au quotidien comme nous l'explique ma collègue Y., qui dresse un verdict sans appel de la condition hospitalière:« L'état de l'hôpital se dégrade. Il y a 30 ans quand j'ai commencé, nous étions un ASH pour 8 chambres et si la surveillante passait et qu'il y avait de la poussière, elle nous demandait de recommencer. Aujourd'hui nous sommes tous seuls pour 18 chambres. Il est impossible d'avoir la même qualité comme nous le demande la direction. » Une exigence toujours accrue de qualité pour un besoin de rentabilité croissant; les contradictions à l'hôpital ne manquent pas.

Celles ci se concrétisent par ailleurs dans le développement d'un nouveau pôle « Femme/Enfant » sur les façades de l'hôpital, opérationnel en 2011. Si l'hôpital s'agrandit, on pourrait croire qu'il va bien. Cependant cette rhétorique ne semble pas marcher dans le monde hospitalier. Le nouveau pôle n'a été construit que pour améliorer le rendement de l'hôpital en matière de soins, non pour embaucher plus de personnel. C'est d'ailleurs sur avis de conseillers privés que l'hôpital public fonctionne aujourd'hui. Cette situation paraît en accord avec la politique étatique qui consiste actuellement à lier les modes de fonctionnement des établissements privés et publics. Situation qui pose la question du devenir de l'hôpital public et celui de sa confiance. A force de renier sur les dépenses, l'hôpital s'est aliéné à la fois le personnel et les patients. Une crise de confiance qui risque, si personne ne fait rien, de durer. 

Peut-on encore avoir confiance en l'hôpital public? 


La question reste légitime. Considéré en 2000, comme l'un des meilleurs pays en matière de santé publique, la France est aujourd'hui sur le rebours. Beaucoup choisissent les cliniques privés au détriment du public. Un choix qui sanctionne une politique étatique menée par une logique financière implacable. Reste que les premiers concernés sont le personnel hospitalier qui voit ses conditions de travail se dégrader mais aussi les patients, dont la qualité de soins s'amoindrit. Cette logique néanmoins en dissimule une autre, beaucoup plus naturel à l'hôpital: celle de la solidarité et de la démocratie.

On oublie trop souvent qu'il est impossible de sacrifier la santé d'un pays. Je ne crois pas aux sacrifices et encore moins à ceux qui sont faits au nom d'une politique financière. C'est pourquoi je pense qu'il faut garder confiance en l'hôpital public, en cet endroit où toute personne à accès aux soins, quelque soient ses origines et ses revenus. C'est encore plus vrai pour l'hôpital de Montreuil. Si l'on peut y croiser à la fois des peintres bobos et des gitans, des filles d'Europe de l'est et des professeurs, c'est que la santé reste encore un des symboles de notre système démocratique. Préserver cette richesse de l'hôpital public, c'est aussi préserver une certaine idée de la France.