Ce blog n'a pour autre ambition que de s'arrêter un moment à l'heure où tout va excessivement vite. Comme un arrêt sur image suivi d'un zoom. En somme, il suspend la parole en l'air pour l'inscrire, quelque part, dans l'ère.

vendredi 14 décembre 2012

L'histoire au lycée

Le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a décidé de réintroduire l'histoire en terminale S. Cette décision, si elle doit être saluée, ne règle cependant pas tous les problèmes auxquels est confronté l'enseignement de l'histoire au collège et au lycée.



Des programmes mal conçus?


Le premier souci concerne les programmes eux-mêmes. Pour être plus clairs et précis, nous examinerons plus en détail le cas de la classe de première, une année déterminante puisque c'est dans cette classe que les élèves sont censés apprendre les évènements majeurs du premier 20ème siècle. Voici le sommaire d'un manuel d'histoire de 1ère générale (séries S, L et ES confondues). 



Ce qui frappe et ce qui peut choquer ce n'est pas tant les thèmes abordés que l'ordre dans lequel ils sont abordés. Que l'on traite de la colonisation en dehors des autres évènements du 20ème siècle passe encore, c'est un thème que l'on peut voir un peu à part, pour peu que l'on ait déjà la chronologie principale en tête. Ce qui est dérangeant en revanche, c'est l'agencement des trois premiers thèmes. On est censés voir la croissance et la mondialisation depuis 1850 (soit un siècle et demi tout de même), avant tout le reste. Les révolutions industrielles sont traitées à part de la guerre, et les Trente Glorieuses sont étudiées avant la Seconde Guerre mondiale. Plus dérangeant encore, on est censés parler des guerres au 20ème siècle sans aborder les totalitarismes (qui ne sont étudiés que dans le chapitre d'après), voilà bien une aberration historique! Du coup, on étudie la guerre froide avant de s'être penché sur le communisme soviétique.

Bien sûr il ne s'agit que des manuels, et l'on peut espérer que les enseignants conservent une certaine logique chronologique dans leurs cours. Mais les manuels ne sont que le reflet des programmes officiels. Un professeur qui aborderait les totalitarismes avant la seconde guerre mondiale serait mal noté lors d'une inspection.

S'il y a une matière où la chronologie est primordiale c'est pourtant bien l'histoire. Attention, loin de moi l'idée d'insinuer que l'enseignement de l'histoire doive se contenter d'une suite de dates. Mais quand on étudie des phénomènes passés on ne peut pas dissocier hermétiquement des grands thèmes car tout est lié. Entre autres, ce serait ignorer le rôle de l'industrie dans la Première et Seconde Guerre mondiale, ce serait ignorer le poids de l'effort de reconstruction dans l'avènement des Trente Glorieuse, ce serait ignorer l'impact de la Seconde Guerre mondiale dans la décolonisation  que de procéder ainsi. En cloisonnant l'histoire en thèmes on se limite dans l'étude historique en laissant volontairement de côté des phénomènes qui pourraient expliquer telle ou telle situation. Et ce d'autant plus que le 20ème siècle est une période où tout se bouscule et se bouleverse à une très grande vitesse.

L'apprentissage par grands thèmes n'est pas en soi mauvais, il est simplement inadapté. Pour être plus précis, cela vaut surtout quand le public connaît déjà plus ou moins la période étudiée. Ce n'est pas vraiment le cas en première et terminale. Pour beaucoup d'élèves, c'est la première fois qu'ils sont confrontés à l'histoire de cette période que le collège n'a fait que survoler.

Tout ce que nous venons de dire concerne essentiellement les séries générales. La réintroduction de l'histoire en terminale S est en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt de l'éducation secondaire. Ainsi, quand on parle d'histoire on oublie systématiquement les séries techniques qui sont encore moins bien loties.


Quand on regarde le sommaire d'un manuel de 1ère technique on se rend compte tout d'abord qu'il est beaucoup plus réduit (deux pages au lieu de quatre pour les séries générales) et surtout beaucoup plus simplifié. Est-ce à dire que les élèves des séries techniques n'auraient pas droit à un enseignement historique un minimum approfondi? Ou bien qu'ils n'en auraient pas le niveau? On me répondra assurément qu'il s'agit là des séries techniques, dans lesquelles l'histoire est plus qu'accessoire, voire anecdotique pour un public pour partie en échec scolaire au collège, et souhaitant surtout apprendre un métier. On touche là à un des problèmes du système éducatif français que je me permettrais d'aborder sans trop le développer. Nous sommes dans un système où les séries générales dominent toutes les autres en terme de prestige. Les élèves en échec scolaire au collège sont souvent redirigés vers des séries plus professionnalisantes. Cela signifie, schématiquement, que l'on va orienter un élève qui a des difficultés vers une filière où rien ne lui sera offert pour corriger ces difficultés. Bonjour l'égalité des chances. D'autre part, il est difficile de voir comment les filières techniques pourraient avoir autant de prestige que les filières générales tant que l'on continue à les associer à des formations "intellectuelles" beaucoup plus superficielles, et ce même si le volume horaire est moindre.


Un nombre d'heures insuffisant?


Et parler du volume horaire me permet d'aborder le second problème auquel est confronté l'enseignement de l'histoire. Vous l'aurez compris, il s'agit du nombre d'heures. Il ne faut en effet pas être dupe de la volonté du ministre de l'éducation Nationale de réintroduire l'histoire en terminale S. Si l'on suit les modalités de ce changement, les élèves de 1ère S qui ont aujourd'hui quatre heure de cours d'histoire par semaine n'en auront plus que deux heures et demi. Moyennant quoi, en terminale, deux heures d'histoire par semaine sont réintroduites. Le gain est d'alors une demi heure par semaine. Cela relève plus de l'étalage que d'une réelle augmentation ou réintroduction de l'histoire. Il n'y a pas si longtemps, cinq ans exactement, il y avait trois heures d'histoire en terminale S, et le même nombre en première, soit un total de six heures hebdomadaires sur les deux années. Et si ce total est plus important dans les séries ES et L, il ne faudrait pas oublier que ces fameuses heures dont nous parlons doivent également être consacrée à la géographie et à l'éducation civique, de quoi fausser les calculs.
Cette question du volume d'heure n'est pas anodine. Si le nombre d'heures de cours d'histoire stagne ou diminue, le volume historique lui ne cesse de s'accroître, à la fois parce que le temps passe et parce que les recherches historiques se poursuivent, introduisant de nouvelles façon d'aborder l'histoire en générale ou une période en particulier. Oui le volume horaire est directement lié au débat actuel qui consiste à savoir quelle histoire on doit enseigner aux élèves et comment on doit le faire. D'ailleurs pourquoi y a-t-il débat? Pourquoi y a-t-il division? Tout simplement parce que si l'on introduit une nouvelle façon de voir les choses, de nouveaux thèmes, de nouvelles périodes, et bien on doit en retirer d'autres, faute de temps pour tout faire. En résultent des programmes toujours en partie lacunaires et/ou bricolés qui s'attardent volontiers sur la nécessaire histoire de France sans avoir la possibilité de dépasser. A quand des cours d'histoire optionnels sur l'histoire de l'Asie féodale? Sur l'histoire des dynasties ottomanes? Sur l'histoire des États-Unis et de l'Amérique? L'histoire s'étoffe, les heures de cours se raréfient, du coup on survole. Rappelons que le programme de 1ère S s'étend de 1850 à nos jours. Presque deux siècles (et quels siècles!) en une année, c'est à dire trois trimestres (9 mois), 2 heures par semaines (n'oublions pas que les heures sont réparties entre l'histoire et la géographie).


Le niveau en question?


Ici se pose une nouvelle question : est-ce l'histoire au lycée qui n'est que survolée, ou est-ce le niveau en histoire dans l'enseignement supérieur qui est trop élevé? Quelle que soit la réponse, on peut en tout cas noter un certain écart encore le niveau demandé au baccalauréat, et le niveau demandé par exemple au concours d'entrée à bac+0 de l'école parisienne post-bac la plus en vogue en ce moment, à savoir Sciences Po. Le concours d'entrée à bac+0, comme son nom l'indique s'adresse aux lycéens tout juste sortis du baccalauréat dont les épreuves se déroulent à peine quelques semaines avant. Et pourtant...

Nous avons retrouvé les sujets du baccalauréat 2012 en histoire, nous avons retenu les sujets de dissertation :

Série S (terminale):  - la décolonisation de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1960
- la Ve République : institutions et vie politique
Série S (première, épreuve anticipée) : - La guerre d'Algérie
- La mutation de la population active en France de 1850 à nos jours
Séries ES et L : - L'Europe dans la guerre froide (1947-1989)
- La Ve République : institutions et vie politique

Puis, pour comparer, nous avons retrouvé les sujets d'histoire posés à Sciences Po cette même année 2012 au concours d'entrée à bac+0 :

- L'âge industriel aux Etats-Unis de la seconde moitié du XIXème siècle à la Seconde Guerre mondiale
- Le premier ministre dans les institutions et la vie politique de la France depuis le début de la Ve République
- Les relations entre la France et l'Allemagne de 1945 à nos jours.

Quiconque analyserait un peu ces sujets se rendrait compte que le niveau demandé à Sciences Po est beaucoup plus élevé (car les sujets sont plus précis, spécifiques et demandent des connaissances supplémentaires) qu'au Baccalauréat. Alors, est-ce le niveau au bac en histoire qui est trop faible? Est-ce le niveau à Sciences Po qui est trop élevé intentionnellement, afin de sélectionner les meilleurs? Sûrement un peu des deux. Une chose est sûre, ceux qui pourront réussir l'épreuve d'histoire de Sciences Po à bac+0 seront soit ceux ayant un grand intérêt pour l'histoire cultivé régulièrement, soit les très bons élèves, soit ceux ayant pu se payer une préparation privée lors de l'année de terminale. Ne parlons même pas des terminales STG qui n'ont même pas de dissertation au baccalauréat et qui, par la force des choses, n'ont même pas l'espoir de pouvoir postuler pour une école comme Sciences Po ou une autre du même acabit.

Pour conclure, si le rétablissement de l'histoire-géographie en terminale S annoncé par Vincent Peillon est un bon signal, la matière n'est cependant pas au bout de ses peines.



dimanche 2 décembre 2012

Israël vs Palestine : des chiffres et des lettres

Et si 1 était égal à 30 ? Dans la guerre fratricide entre la Palestine et Israël, les chiffres perdent de leurs sens, tandis que les mots, eux, étrangement, nous parlent.


"Une réponse proportionnée". Voici ce qu'a demandé, le 16 novembre 2012, l'Union Européenne à Israël, qui poursuivait son offensive contre la bande de Gaza. Aujourd’hui, le bilan de l'attaque s’élève à 174 morts du côté palestinien contre 6 morts du côté israélien. En toute proportionnalité, cela revient à dire qu’un israélien équivaut à 29 palestiniens. Au-delà des questions fondamentales de la valeur d’une vie humaine, s’en pose une autre politique : était-ce le résultat escompté par l’Union Européenne? En somme, n'y a t-il pas eu d'erreur dans la pose de l'équation?

+ 65 ans
  
Par un fin calcul mathématique, les dirigeants pensent bien souvent pouvoir infléchir l’Histoire. C'est pourquoi, Il fallait un chiffre rond pour faire de la Palestine, neuf jours après une offensive meurtrière, un « État observateur non membre » de l’organisation des Nations-Unis. Le 29 novembre 2012 devait ainsi répondre au 29 novembre 1947, date à laquelle le plan de partage de la Palestine en deux états, juif et musulman, fut adopté par l’ONU. Après 65 années, quatre générations perdues, 51 000 morts, selon les estimations, dans les deux camps et 3000  logements de plus construits à Jérusalem-Est par Israël, quel sens peut-donc bien avoir la coïncidence de ces deux dates ? Aucun des protagonistes n’en ont l’usage. La Palestine est passée d’une entité à un « État » sans gagner le droit de voter au sein de l’ONU, tout juste a-t-elle la possibilité d’adhérer à certains traités internationaux. Israël garde, quant à elle, son allié indéfectible, les États-Unis, à laquelle elle confie unilatéralement, depuis les lois américaines des années 90, son propre destin. Les dates tout comme les chiffres ne semblent plus avoir de sens, alors pourquoi les utiliser ?  

Place aux mots

La présence des chiffres et l’absence d’utilisation des mots est une pathologie politique qui peut avoir deux sources. D’une part, les mots disparaissent devant une situation « inqualifiable » par peur de leurs impacts et les chiffres les remplacent. D'autre part, c’est la force de certains mots qui en fait oublier d'autres. Ainsi, les  termes de « Plomb durci » (2008), d’ « Éliminations ciblées » (2010), de « Pilier de défense » (2012), utilisés par l'État d’Israël pour désigner ses interventions à Gaza, portent en eux-mêmes une charge si forte que dire autre chose peut paraître impossible. Les mots peuvent également manquer, lorsqu’une situation politique empêche de formuler clairement une direction propre.  La métaphore mathématique de l’Union Européenne n’est alors que le symptôme d’un manque de politique étrangère commune, épinglé d’une formule diplomatique aussi floue que malheureuse.

Pour faire une place aux mots dans le calcul, rien n’est plus salutaire que l’étymologie pour retrouver du sens. A  la signification guerrière de Gaza, « forteresse » en arabe, à celle poétique de Tel-aviv, « colline artificielle sur un champ de ruine au printemps » répond celle de Jérusalem, ville fondée par Salem, lieu de paix. Les mots peuvent autant réunir que diviser. L’ « enthousiasme » du Hamas devra répondre un jour à l’ « ouverture » du Fatah pour fédérer l’ensemble disparate qu’est la Palestine et retrouver un visage uni entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Cela permettra peut être de réaliser un monde où les mots arriveront, un jour, à remplacer les roquettes…

mardi 20 novembre 2012

Il en parlait déjà... Petite citation




"Moins tu peux payer... Plus tu payes!"

Ce bout de phrase est tiré d'un fameux sketch de Coluche : "le délégué syndical", qui date d'au moins trente ans maintenant. Pour le contexte, Coluche disait cela du crédit que son personnage avait contracté en achetant une maison en Normandie. Et cette phrase rencontre un écho notable dans l'actualité de ce mardi 20 novembre : l'agence de notation Moody's a baissé la note de la France, de AAA à AA1. Une des conséquences attendues, c'est que la France empruntera certainement à des taux supérieurs (actuellement le taux d'emprunt de la France est de 2.1%, et celui de l'Allemagne de 1.3% (chiffres de France 2)), car on la juge moins capable de rembourser sans risque. D'où cette citation illustrant à merveille la logique économique à l'oeuvre : "Moins tu peux payer... Plus tu payes!"


Pour la petite histoire, plus loin dans son sketch, Coluche disait de ce fameux crédit : "C'est la formule Merlin, pendant le crédit tu répares ce qui s'écroule... Et au bout de 15 ans les ruines sont à toi."



"La jouissance" de Florian Zeller, un roman européen

Qu’il y a-t-il de commun entre la crise européenne et le couple contemporain? En une centaines de pages, Florian Zeller nous ouvre les portes d’une société de la jouissance à l’allure bien tyrannique. 


Passé maître de l’expression scénique, après six années sur les planches, Florian Zeller revient avec un nouveau roman à l’accent très théâtral. Construit en trois  actes à valeur chronologique, « l’ode à la joie », « le sacrifice » et « la tyrannie »,  l’ouvrage fait vivre trois personnages aux caractères bien distincts: Nicolas, trentenaire aux ambitions artistiques déçues,  Pauline, une « sentimentale » qui travaille dans une entreprise de cosmétique, et un chœur à l’accent tragique qui, mêlant anecdotes et faits d’Histoire, raconte la construction d’une Europe qui nous ressemble. 

Tragédie sans en avoir l’air, ce roman est avant tout celui de la désillusion, vis-à-vis de l’amour d’abord puis de l’idée européenne. A l’Europe flamboyante des années 70 et 80, au temps où Helmut Kohl et François Mitterrand se prennent «  main dans la main », aux premiers pas d’une histoire amoureuse succède le moment du sacrifice, une action  nécessaire mais improbable dans une société mue par la jouissance. Au couple de Pauline et de Nicolas, en profonde déliquescence, répondra la perte de sens de l’idée européenne dans un monde incapable de considérer l’Autre.  

Alors, quand « marcher ensemble » devient impossible, au moment où d’aucun n’est disposé à faire de concessions pour l’autre,  la crise apparaît. Une  crise sentimentale, idéologique et politique. C’est la tyrannie, celle de la jouissance, qui fait loi. Au bout de ce chemin, il y a surtout une création, un enfant, venu bien trop tard ou au contraire bien trop tôt, chez des êtres devenus profondément incapables de penser à autre chose qu’à leurs propres désirs. Bien loin d’être salvateur, l’enfant provoque la crise et fait mourir le couple. 

De la petite histoire d’une  séparation au caractère bien banal, Florian Zeller en fait une chronique contemporaine et l’accroche à la Grande Histoire d’une Europe qui déçoit. Parce qu’on ne peut plus penser l’autre sans passer par le filtre de soi-même et parce qu’on ne peut davantage penser l’Europe sans la montée du nationalisme, il est tout autant devenu  impossible de faire un enfant en l’aimant pour lui-même. 

Derrière la tragédie moderne,  l’ouvrage s’adresse à une nouvelle génération en quête de sens. Tout en interrogeant notre manière de vivre,  il ravive, et pour longtemps,  les consciences du monde de demain.

Editions Gallimard – Sortie en juin 2012 – 160 pages

lundi 19 novembre 2012

" La réponse est oui, mais quelle était la question?" [Woody Allen]


La NASA
Un orchestre
Narcisse
L'oenologie
Une coupole
La traite
Homeland
l'Espagne
Un encéphalogramme
Alain Poher
Les claquettes

Avouez, cette énumération vous laisse dubitatifs. Qu'est ce donc? Une liste de courses? Une liste à la Prévert? Une énigme? Un jeu d'association d'idées? Et bien non, rien de tout cela. Il s'agit en fait des premières réponses aux questions de l'émission "Questions pour un champion" du 16 novembre 2012, diffusée sur France 3. Oui mais voilà... Sans les questions qui vont avec, difficile de savoir de quoi l'on parle n'est ce pas?

Ceci, je le pense, peut et doit s'appliquer au journalisme, à la politique et a fortiori au journalisme politique. Trop souvent on nous présente uniquement les réponses des personnes interrogées, sans d'ailleurs savoir qu'il s'agit d'une réponse à une question. Et ces réponses, reprises en boucle, d'un média à un autre, tendent à devenir une déclaration à part entière plutôt qu'une réponse. "Pourquoi jouer sur les mots?" Me dirait-on, après tout c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Je ne le crois pas. Quand on sort une phrase de son contexte on loupe toujours quelque chose, on perd toujours un peu du sens.

Prenons un exemple pour mieux comprendre : celui des polémiques politiques. Un tel fait une déclaration, un autre réagit à ce propos, puis un autre, puis un autre, chacun donnant son avis, l'affaire gagnant l'ensemble de la sphère politique. Est-ce aussi simple? On oublie souvent, car cela est rarement mentionné, que les réactions sont souvent le fruit d'une question, par exemple : "Que pensez-vous des déclarations de Monsieur Untel?". Un premier problème surgit alors : l'homme politique aurait-il pris position de lui-même si on ne lui avait pas posé la question? Second problème, la question posée influe-t-elle sur la réponse donnée? Nous touchons du doigt ici une problématique qui n'est pas sans rappeler celle de l'œuf et de la poule : savons nous en effet si ce sont les politiques qui se servent des médias (à des fins politiques donc), ou si ce sont les médias qui se servent des politiques (pour rechercher le scoop ou faire le buzz)? Autrement dit, est-ce que le journaliste pousse l'homme politique à prendre position en posant sa question, ou est ce que l'homme politique se sert des médias comme tribune en feignant de répondre à une simple question? Et est-ce que la question posée importe peu, puisque l'homme politique veut avant tout faire passer un message devant la caméra, ou est-ce que le journaliste cherche à obtenir une réponse bien précise de l'homme politique en orientant sa question? C'est un débat qu'à mon sens nous ne sommes pas près de résoudre, car il y a certainement un peu des deux.



Nous pouvons tout de même affirmer que la question posée influe sur la réponse et qu'en cela il est impératif de la connaître pour être bien informé. Quiconque s'intéresse aux méthodes de sondage en conviendra, la question fait tout. Prenons l'exemple de la conférence de presse de François Hollande de mardi dernier, et du sondage BVA publié par le Parisien le surlendemain. Il est tout d'abord intéressant de noter que les questions posées dans ce sondage ne nous sont pas données, mais se déduisent à peu près des réponses. "Avez-vous trouvé François Hollande convaincant?". Voici une question pour le moins vague. Convaincant par rapport à quoi? Sur quel point? Et qu'est-ce que vous entendez par convaincant? Je vais exposer ici une hypothèse personnelle : Il me semble que plus une question sur un homme politique est vague ou au contraire plus elle est techniquement compliquée, alors plus elle revient à demander "Aimez-vous cet homme politique?", ce qui peut fausser largement l'interprétation des résultats. D'autre part, les instituts de sondage semblent en mesure de prévoir à peu de chose près quel type de réponse qu'ils pourront obtenir en posant telle ou telle question, et de choisir en fonction. Voilà qui illustre parfaitement les propos de Woody Allen dans le titre. Rappelez-vous il y a quelques mois quand Georges Papandréou, alors à la tête de la Grèce, voulait organiser dans son pays un référendum sur la sortie de crise proposée par l'Europe, référendum qui n'a finalement pas eu lieu. Tout le problème résidait alors dans la question que l'on allait (ou pas) poser aux Grecs. Schématiquement, allait-on leur demander "Etes-vous d'accord avec les mesures proposées par l'Europe pour sortir de la crise?" ou bien "Voulez-vous sortir de l'Europe?". Deux questions qui étaient liées car refuser les mesures de l'Europe c'était alors s'en détacher, mais l'on pressent bien que les réponses auraient été bien différentes en posant l'une ou l'autre de ces questions.

Tout cela pour dire que pour être bien informé, il faudrait dans l'idéal préciser partout que telle personne répondait à telle question quand elle a dit cela. Or cela passe bien trop souvent à la trappe. Parfois on trouve mentionné "interrogé sur tel sujet, Monsieur X a déclaré...", mais cela reste rare et encore vague. A ce titre, l'émission qui est, à mon sens, une des plus honnête à ce sujet reste Le Petit Journal de Canal+. Certains prétendent qu'ils ne font pas du journalisme, toujours est-il que lors de leurs micro trottoirs, on entend presque toujours la question qui est posée aux personnes à qui l'on tend le micro.

Mais pourquoi les questions posées ont-elles ainsi tendance à disparaître? On serait tenté de penser que cela vient de la multiplication des formats courts où l'on prétend aller à l'essentiel. L'essentiel, c'est-à-dire ce que disent les personnes interrogées. On peut penser également que le journaliste ne considère pas sa question digne d'intérêt, et que seule la réponse compte, et dans ce cas il aurait bien tort car il est des questions très pertinentes auxquelles on répond par de la langue de bois. Enfin pourrait penser au contraire que le journaliste n'estime pas devoir être jugé et/ou critiqué par l'opinion publique. Et encore une fois il aurait bien tort. Le public a le droit de considérer une déclaration d'un homme politique brillante ou complètement idiote, comme il a le droit de juger la question posée, brillante ou complètement idiote, c'est selon.

Pour conclure je dirais donc que la réponse est oui, mais quelle était la question déjà?

vendredi 16 novembre 2012

La conférence de presse de François Hollande en (quelques) chiffres

Depuis la conférence de presse de mardi derniers, les mots du Président de la République ont été repris en boucle dans les médias. Quoi de plus naturel? Mais dans "conférence de presse" il y a "presse", et qui dit "conférence de presse" dit questions. Voici donc quelques statistiques compilées pour analyser cet évènement du côté des journalistes.





40 minutes et 40 secondes

C'est le temps qu'a duré le discours d'introduction de François Hollande.




400

C'est le nombre de journalistes qui étaient présents ce jour là dans la salle des fêtes de l'Elysée.

Et parmi ces 400 journalistes, 33 seulement ont pu poser une question.



Difficile de savoir si la parité était respectée parmi les 400 journalistes, c'est en revanche plus facile si l'on s'intéresse aux journalistes ayant posé une question. [valeurs absolues : hommes : 23 ; femmes : 10]


Parmi les questions posées, certaines venaient de journalistes télé, d'autres de journalistes de presse ou de radio, ou encore du web. Voici la répartition. [valeurs absolues : Télévision : 10 ; Presse : 10 ; Radio : 5, Web : 2 ; Journalistes ne s'étant pas présentés : 5 ; Journaliste freelance : 1]



Voici maintenant la répartition des questions posées en fonction de l'affiliation des journalistes à tel ou tel média  :
                                



De ce tableau nous pouvons déduire d'autres chiffres sur les médias représentés par les journalistes ayant posé une question :

[valeurs absolues : service public : 8 ; privé/indépendants : 16 ; international : 3. Les journalistes ne s'étant pas présenté et les journalistes freelance n'ont pas été comptabilisés]


[valeurs absolues : France Télévision : 2 ; Autres chaînes publiques : 3 ; Radio France : 3 ; Radios privées indépendantes : 1 ; Groupe Lagardère : 2 ; Groupe Bouygues : 1 ; Groupe NextRadio TV : 1 ; Edouard de Rothshild : 1 ; Groupe Perdriel : 1 ; Groupe Canal+ : 1 ; Socpresse : 1 ; Groupe Amaury : 1, Groupe Le Monde : 2 ; Indépendants Web : 2 ; AFP : 1 ; International : 3.]


Enfin, nous pouvons voir par l'intermédiaire de ce tableau les thèmes qui ont été abordés par les questions lors de cette conférence de presse :



Tout cet exposé de chiffres part d'une remarque toute simple. Alors que la plupart des commentateurs s'évertuent à décrypter les propos du Président de la République, nous pensons nous qu'une analyse des réponses, pour être complète, appelle de fait une analyse des questions.

jeudi 15 novembre 2012

Concerto à la mémoire d’un ange d'Eric-Emmanuel Schmitt


Prix Goncourt de la nouvelle 2012, le "Concerto à la mémoire d'un ange" d’Eric-Emmanuel Schmitt interroge: Avons-nous le pouvoir de changer notre vie? 



Dans ce livre de nouvelles du prolifique auteur Eric-Emmanuel Schmitt se joue une curieuse mélodie en quatre actes, alternance d'admiration et de haine, d'amour et de poisons, de meurtres et de désirs. Aucune fausse note n'interrompt ce concerto qui s’amuse à déjouer toutes les partitions possibles pour improviser autour d’une même gamme : Sainte Rita. Qui peut-elle bien être ? « Une femme » nous dit Catherine, première dame de France que la passion pour son mari déchire. A travers Rita, conciliatrice des mœurs, musicienne de l’impossible, c'est l’humanité qui soudain apparaît capable d’inverser son destin. En somme, « sommes-nous libre de changer? ». Si le docteur en philosophie répond par l'affirmative, l’auteur, lui, cherche les nuances et trouve, dans ce livre, la tonalité juste.